Mètis – Snobisme de haut en bas

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Tous les mois, Michel Casevitz (professeur émérite de philologie grecque) traite d’une étymologie susceptible de présenter un intérêt méthodologique pour saisir le véritable sens d’un mot français ou en rectifier l’étymologie généralement admise.

Récemment, un ami qui arrivait en retard au restaurant où on l’attendait s’excusa en alléguant qu’il avait été retardé par un raout auquel il n’avait pu se dérober.

« Un raout, quesaco ? » demanda un des futurs convives. « Ben, un pince-fesses » répondit le nouveau venu, tout sourire, ajoutant : « Si vous ne comprenez pas, disons une réception. » Enfin, un mot pour lequel nous n’avions rien à redire, un mot actuel !

Raout est attesté depuis 1824 : on le retrouve dans la lettre adressée le 13 janvier à Ad. de Mareste par Stendhal - qui signe « Chauvin » (Correspondance, éd. La Pléiade, 1967, tome 2 (1821-1834), lettre 753, p. 25). Il est emprunté à l’anglais rout, comme l’indique le Petit Larousse illustré de 2022, qui le définit comme « réception mondaine » en indiquant « vieux et par plaisanterie ». Le Littré, à raout, envoie à rout[2], qu’il définit ainsi : « assemblée nombreuse de personnes du grand monde » ; les deux citations qu’il donne sont l’une de madame de Genlis (1746-1830), - ses Mémoires inédits sur le 18ème siècle et la Révolution ont été publiés en 1825[3] -, citée par Ch. de Pougens (1755-1833) : « Je pris à l’Arsenal un jour pour recevoir du monde ; mais heureusement les routs n’étaient pas encore introduits en France… » Ces routs venaient d’Angleterre  (où le mot, provenant de l’ancien français rote, route[4] « troupe en marche » désignait une compagnie, un rassemblement, d’où une réception, réunion) et ces réunions mondaines devinrent à la mode vers 1820-1830, au point qu’il fut vite difficile de fixer un jour régulier pour recevoir ses connaissances ; au 20ème siècle on fit de ces raouts des réunions de salons, des salons (ainsi « madame tenait salon » tel jour du mois…). Littré cite aussi Ch. de Bernard (1804-1850), auteur de La femme de 40 ans (Paris, 1836, réimprimé en 2016 à la demande par Hachette et la BNF) : « N’allez-vous pas au rout de Mme d’Alvimare ? » Le raout devint ensuite plus intime ; de l’aristocratie, il était passé à la bourgeoisie, triomphante.

Moins mondain, très populaire et égrillard, le pince-fesses est le synonyme de la réception où les distances convenues entre les assistants ne sont pas respectées ; le mot, connu depuis la première moitié du 20ème siècle, a d’abord désigné l’action de pincer les fesses (d’une femme), puis le lieu où cette activité de pelotage était acte banal, le bordel, avant de désigner le bal, le dancing tel qu’il en existe encore, pour toutes les classes sociales[5]. Il semble que pince-fesses ait été formé sur le pince-cul, mot (masculin, invariable) attesté dans le dernier quart du 19ème siècle (cf. le TLFi s.u. pince-fesses, avec les exemples chez Courteline et Huysmans).

La réception, action de recevoir[6], est attestée depuis le 13ème siècle ; le mot désigne une cérémonie, plus ou moins solennelle, où l’on reçoit des amis ou des personnes conviées, où l’on introduit dans une compagnie, l’accueil qu’on réserve à une personne, un client, en service commandé ou en toute intimité, la fête célébrée pour une occasion particulière ou pour une personne.

Si l’on quitte maintenant les usages bourgeois pour aller en milieu populaire, on trouve d’autres mots, tels sauterie, surprise-partie, surboum, noce ou nouba[7].

La sauterie (le mot est attesté au sens premier de « série de sauts » dès le 17ème siècle, mais seulement depuis le 19ème au sens actuel) désigne la réception par sa partie dansante (cf. le TLFi s.u. avec exemples chez Chateaubriand et Aragon); le mot est employé aujourd’hui avec un peu de raillerie.

La surprise-partie (le mot apparaît à la fin du 19ème siècle, emprunté à l’anglais surprise-party ou party) fut d’abord une « réunion improvisée chez quelqu’un, à laquelle boisson et nourriture pouvaient être apportées par les participants » (TLFi s.u.) ; c’est au 20ème siècle une soirée dansante pour des adolescents. Le mot est de moins en moins employé[8]. Formé à partir de ce mot, le synonyme surboum, féminin aussi, a été formé avec un premier terme sur- (de surprise) et un second -boum, adaptation de l’anglais boom, « réclame bruyante » confondu avec l’onomatopée boum, donnant l’idée du bruit (de la danse sur le parquet); comme son modèle, ce mot n’est plus guère employé.

La noce est un mot familier pour désigner une partie de plaisir, avec excès de boisson et de nourriture, sans nécessairement inclure la danse. Le mot noces (issu du latin vulgaire noptiae, féminin pluriel, « altération du classique nuptiae « noces, mariage, commerce charnel », d’après le latin vulgaire novius « nouveau marié », dérivé de novus « nouveau », selon le TLFi s.u. noce) s’est laïcisé et vulgarisé au singulier.

Enfin, il y a quelques mots désignant la musique, le bruit des fêtards : la nouba est à l’origine une musique jouée par les tirailleurs d’Afrique du nord et plus généralement par les musiciens algériens, d’où une fête bruyante (le mot a été emprunté à la fin du 19ème siècle à l’arabe maghrébin nuba « concert de musique devant une personnalité, fanfare ». On pourrait encore citer la bamboche, la bringue, la java : il y a beaucoup de mots pour exprimer la débauche joyeuse et bruyante, sans parler de « faire la teuf »…


[1] Le mot snobisme est directement emprunté à l’anglais snobbism  attesté depuis le milieu du 19ème siècle, devenu snobism au 20èmesiècle, où l’anglais emploie aussi le snobisme  français (cf. Trésor de la langue française informatisé [TLFi]). À Eton et Cambridge, on qualifiait les roturiers de snobs, et parfois on fait même remonter ce mot à s.nob (= sine nobilitate) à l’empire Romain. Sans solide preuve à ma connaissance….

[2] Littré indique deux prononciations : «  rout’ et, plus souvent, raout’ ».

[3] Voir L. Junot, Histoire des salons de Paris, ebook, 2012, tome 2/6,  The project Gutenberg.org), consulté le 22/2/2023.

[4] Du latin rupta (via) « (voie) rompue, frayée » : le participe passé passif féminin de rumpere « rompre » a été substantivé (cf. l’expression rumpere viam « ouvrir une route, un passage »).  

[5]  G. Brassens a composé une chanson (mise en musique par A. Armel) titrée « Le pince-fesses » qui commence par ce quatrain : « Pour deux ou trois chansons, lesquelles je le confesse /Sont discutables sous le rapport du bon goût,/ J'ai la réputation d'un sacré pince-fesses /Mais c'est une légende, et j'en souffre beaucoup. » C’est à notre connaissance le seul exemple où le mot désigne l’auteur de l’action (le pinceur de fesses). D’autre part, le dictionnaire en ligne sur le site linternaute.fr  (consulté le 06/03/2023) indique deux sens pour pince-fesses : « 1) une réception ou fête dans un milieu bourgeois et coincé ; 2) un pince-fesses est également une personne reconnue pour être plutôt coincée et qui se pince les fesses. » Ce deuxième sens et cette explication nous paraissent… infondés. Enfin l’Académie française (sur le site dictionnaire-academie.fr consulté le 07/03/2023) indique que le mot peut s’écrire pince-fesse, au pluriel pince-fesses (depuis la réforme de 1990).

[6]  Du verbe latin recipere « recevoir, prendre en retour », composé du verbe capio,-is,-ere  « prendre. » la réception est empruntée au latin receptio, -onis.

[7] Liste qui n’est pas exhaustive ; ainsi on pourrait ajouter le nom fiesta, mais ce mot désigne seulement la fête de son nom espagnol pour lui donner un ton spécial. On trouve dans le dictionnaire Robert différents synonymes du mot fête, tous de la langue familière et certains sortis de l’usage.

[8]  Signalons le nom d’une soirée dansante à vocation particulière : le rallye était – il n’est plus employé en ce sens, je crois- une réunion mondaine organisée par les parents d’une jeune fille pour faire se rencontrer les jeunes filles à marier et leurs possibles prétendants ; le mot provient de l’anglais rally, « réunion, rassemblement » (cf. to rally « rassembler »).

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