Mètis – Mauvais garçons de Paris et d’ailleurs (III)

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Tous les mois, Michel Casevitz (professeur émérite de philologie grecque) traite d’une étymologie susceptible de présenter un intérêt méthodologique pour saisir le véritable sens d’un mot français ou en rectifier l’étymologie généralement admise.

 

Nous allons aujourd’hui en terminer avec ce sujet, si l’on peut dire : les mauvais garçons, qu’ils soient de la Bastille ou de Barbès (à défaut de l’Ouest parisien), sont très présents presque partout. Nous en étions arrivés, dans l’ordre alphabétique, à loulou.

Un loulou (attesté depuis le 17ème siècle au sens de « pou » en langage enfantin, depuis le 18ème au sens de « chien ») est un chien d’intérieur (seul sens connu du dictionnaire de Littré) ; il est souvent dit poméranien[1]. Le mot dérive du loup, avec répétition syllabique et connotation affective. Dans le TLF (Trésor de la langue française) il y a une seule entrée pour loulou, mais dans le PLi (Petit Larousse illustré), depuis au moins l’an 2000, il y en a trois : outre un chien, loulou désigne familièrement un loubard (féminin loubarde), avec le suffixe dépréciatif -ard, et loulou (féminin louloute ou louloutte) désigne un garçon, une fille. Curieusement, le même mot peut en fait servir soit d’hypocoristique (« mot qui caresse en dessous », à proprement parler) pour désigner familièrement et tendrement un jeune garçon ou une jeune fille[2], soit de mot dépréciatif pour désigner un jeune garçon dépourvu de sens moral et qui peut être un délinquant.

Un malandrin (attesté depuis le 19ème siècle) a d’abord désigné un membre des bandes de pillards qui dévastaient le pays au 15ème siècle (d’après le TLF s.u.), puis un bandit de grand chemin, voleur, détrousseur ; le mot est désuet et ne se rencontre plus que dans la littérature. Il est possible que le sens originel ait été mendiant, lépreux : le mot est un emprunt à l’italien malandrino  « bandit, voleur » ; du bas latin malandrenus (13ème siècle, à Venise, cf. TLF citant Du Cange), dérivé de malandria, -ae, « malandrie, malandre, précisément crevasse au pli du jarret du cheval. » Au masculin, malandre désigne, dans le vocabulaire des vétérinaires, des pustules, ulcères, plaies en tous genres… Le voleur est donc une plaie. On peut aussi évoquer la proximité phonétique du nom de Louis Mandrin (1725-1755), célèbre contrebandier qui lutta contre les Fermiers généraux et y gagna sa popularité de bandit justicier ; il mourut roué et ce fut le début de sa légende, illustrée par la Complainte de Mandrin. Mandrin devint alors lui aussi un nom commun.

Un malfrat est un « homme qui mal fait ou… fera » (TLF s.u.) ; attesté depuis le 19ème siècle, ce mot argotique et familier est peut-être originaire du languedocien maufaras

Un nervi est un voyou, souteneur marseillais, et plus généralement un homme de main, un tueur. Le mot, attesté depuis le début du 19ème siècle, appartient au parler de Marseille : il provient par métonymie du provençal nervi « nerf » d’où « force, brutalité » (du latin neutre pluriel nervia, -orum « muscles. »

Un pilleur, une pilleuse (ou pillard, -arde, avec suffixe -ard péjoratif, cf. supra), nom ou adjectif, sont des noms d’action : ils « se livrent au pillage », acte de violence typique de la guerre et des mœurs brutales ; ils pillent les troncs des églises, les villes conquises, ils compilent ou plagient les œuvres littéraires. Les mot pilleur et pillard existent depuis le 14ème siècle.

La racaille (attesté depuis le 12ème siècle) désigne la plus pauvre partie de la population, jugée donc la plus méprisable puisque misérable. Le mot, d’origine anglo-normande, dérive du verbe rasquer « râcler », issu du latin *rasciare (cf. Ernout-Meillet, Dictionnaire étymologique de la langue latine [DELL], 4ème éd. revue, Paris, 2001, s.u. rado, is-, ere, « gratter »). Comme dans canaille, ripaille, etc. le suffixe -aille est péjoratif. Le mot a pour synonymes évidents les crapules, les fripouilles.

Un sbire est à l’origine un agent de police italien (sbirro « archer de police ») ;  il est attesté en français depuis Rabelais[3]  (16ème siècle), comme algousan (=argousin aujourd’hui) et barigel (ou barisel, capitaine des archers ou sbires dans certaines villes d’Italie). Aujourd’hui, le mot, péjoratif, désigne « un homme de main au service d’un particulier ou d’un pouvoir oppressif » (TLG s.u.). Le mot est souvent employé comme synonyme de policier.  Sbirro dérive de birro, même sens, provenant du latin birrus « gris-brun », variante de burrus,-a,-um « roux » (emprunt au grec πυρρός, -ά, -όν [purros,-a,-on], cf. DELL, s.u. burrus).

Séide est à l’origine un personnage de Mahomet ou le  Fanatisme, tragédie de Voltaire, écrite en 1739 et jouée pour la première fois à Lille en 1741, puis à Paris en 1742 (Voltaire la retira de l’affiche après trois représentations, craignant… l’interdiction) : Séide y est un serviteur si fanatique et dévoué à son maître qu’il peut commettre un crime. Le nom, inspiré d’une personne réelle, Zayd ibn Haritah,  fils adoptif de Mahomet, est devenu nom commun et adjectif. Il appartient aujourd’hui à la langue des polémistes.

Un truand (féminin truande), nom et adjectif, est anciennement (le mot est attesté depuis le 12ème siècle), au Moyen Âge et sous l’Ancien Régime, membre d’une bande « de voleurs et de mendiants professionnels » (TLF s.u.). Puis il a désigné un gueux, un vagabond et comme nom, un voyou, voleur, ou un arnaqueur, trafiquant, un vaurien : bref tous les mauvais garçons participent plus ou moins à la truandaille (mot vieilli) ou à la truanderie et tous truandent. Le mot provient du gaulois restitué *truganto, correspondant à l’irlandais trogan, diminutif de truag « malheureux » (voir TLF ibid.).

Pour terminer, nous ajouterons à cette longue liste les hooligans (ou houligans) ; le mot désigne à l’origine les fanatiques et violents supporters (anglicisme), supporteurs d’un club de sport, en particulier d’un club de football, d’abord dans le monde anglophone à partir de la fin du 19ème siècle ; le mot s’est répandu au 20ème siècle, notamment en URSS sous la forme houligans (pluriel), en désignant les mauvais esprits, rebelles et opposants à l’ordre établi. Chez nous, le mot a disparu de l’usage courant ; comme l’expression blouson noir qui s’appliquait aux jeunes délinquants, vêtus souvent d’un blouson de cuir noir, issus du peuple alors que les blousons dorés appartenaient plutôt à la classe moyenne ou supérieure…

La liste pourrait certainement être encore allongée : les synonymes abondent pour désigner les personnes qui « ruent dans les brancards. »

 


[1] L’ancienne province de Poméranie appartient maintenant en partie à la Pologne (avec Gdansk [=Dantzig] et Szczecin [=Stettin], en partie à l’Allemagne (avec Stralsund). Ce loulou est le chien de race spitz que les aristocrates aimaient beaucoup et qu’on voit peint à leur côté (un peu comme le bichon ou le carlin).

[2] Une amie me rappelle qu’un parfum où la fleur du tiaré est au cœur de la flagrance, Loulou de Cacharel, « est destiné à une femme à la fois innocente et sensuelle, mystérieuse et candide » (consulter www.sephora.fr).

[3] Rabelais. Tiers Livre, éd. de la Pléiade, Paris, 1994, chapitre 20, p. 412 : paroles de Panurge à Nazdecabre.

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