Les Bonnes Lettres – L’humanisme italien : Ange Politien

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« Bonae litterae reddunt homines » (« Les bonnes lettres rendent les hommes humains ») écrit Érasme dans la Querela pacis (La Complainte de la paix) de 1517. Ces « bonnes lettres », parfois alors appelées « lettres humaines » et distinguées des « lettres saintes », expriment un idéal encyclopédique, moral et « anthropologique » voire politique spécifique, avant celui des « Belles-Lettres » qui triomphera à l’Âge classique, bien avant celui des « droits de l’homme » ou de l’« humanitaire » d’aujourd’hui. Celui-ci se fonde sur la triade, cardinale dans l’humanisme historique, du studium (étude), de la charitas (charité et compassion) et de l’unitas hominum (unité et concorde du genre humain).
Cette chronique d'Olivier Guerrier entend mettre en relief certains des contenus, des messages et des auteurs principaux de l'humanisme, comme leurs prolongements dans la culture ultérieure.

Florence conserve aujourd’hui encore le souvenir d’Ange Politien, que ce soit dans la fresque de l’Annuncio dell’ angelo a Zaccaria (1486) de la Chapelle Tornabuoni de la Basilique Santa Maria Novella, où il est représenté à droite d’un groupe formé aussi de Marsile Ficin (à gauche) et Cristoforo Landino (au centre), ou dans celle de La confirmation de la règle de Saint François (1482-1485) de la Chapelle Sassetti de Santa Trinità, où il est visible aux côtés de Julien de Médicis enfant, le tout ayant été réalisé par Domenico Ghirlandaio. 

Image : Domenico Ghirlandaio, Annuncio dell'angelo a Zaccaria, fresque, 1486, Santa Maria Novella, Florence (détail)

Domenico Ghirlandaio, Annuncio dell'angelo a Zaccaria, fresque, 1486, Santa Maria Novella, Florence (détail)

Image : Domenico Ghirlandaio, Conferma della Regola, fresque, 1482-1485, Sassetti de Santa Trinità, Florence (détail)

Domenico Ghirlandaio, Conferma della Regola, fresque, 1482-1485, Sassetti de Santa Trinità, Florence (détail)

Il aurait choisi le nom d’Angelus Politianus d’après le nom romain de sa ville d’origine, Mons Politianus, devenu Montepulciano, en Toscane, où il naît en 1454. Il en part jeune pour Florence, où deux longs séjours distincts et riches, chacun dans l’entourage de Laurent de Médicis (1449-1492), marquent son existence. Le premier correspond au début de son préceptorat des enfants de ce dernier, Pierre et Jean (futur Pape Léon X), en 1473, que lui vaut notamment sa renommée d’excellent helléniste et latiniste. Il écrit aussi en italien, et en particulier entre 1475 et 1478 les Stanze per la giostra (Stances pour la joute)[1], œuvre poétique encomiastique initialement prévue pour célébrer la victoire en janvier 1475 dans un tournoi place Santa Croce de Julien de Médicis, jeune frère de Laurent, mais dont il n’a le temps d’achever que les deux premiers livres, de facture mythologique, étant interrompu par l’assassinat dudit Julien lors de la Conjuration des Pazzi (1478), au sujet de laquelle il écrira également un pamphlet en faveur des Médicis, le Pactianæ conjurationis commentarium (Commentaire sur la conjuration des Pazzi).  

Après avoir quitté Florence pour Ravenne, Venise puis Mantoue – où il compose la Fabula di Orfeo, drame en vers en un acte, crée en 1480 et publié en 1494 –, il retrouve Laurent et sa charge de précepteur pour une seconde période qui va le voir aussi titulaire, jusqu’à sa mort en 1494, de la chaire d’arte poetica e oratoria au Studio, soit le collège universitaire florentin. La leçon inaugurale qu’il y propose en 1490, publiée en 1492 sous un titre, Prælectio qui titulus Panepistemon, lequel met en vedette un mot grec rare signifiant « omniscient », consacre sa volonté en fait encyclopédique puisqu’à partir de l’œuvre d’Aristote il présente toutes les sciences et tous les arts en vingt-cinq pages[2]. Plus généralement, ses interventions sur les autres grands auteurs antiques attirent ce que l’humanisme florentin fait alors de meilleur, dont le jeune Jean Pic de la Mirandole (1463-1494). Une importante œuvre en latin en dérive et marque encore cette époque de sa vie : mentionnons ainsi les Sylvæ (1482-1486)[3], quatre poèmes en hexamètres dactyliques, dont le premier est la présentation d’un cours sur les Bucoliques de Virgile, le second l’introduction à un autre sur les Géorgiques de Virgile et d'Hésiode, les deux derniers célébrant Homère et les poètes classiques. Ce qui nous paraîtrait aujourd’hui comme quelque peu éclectique trouve encore à s’exprimer, autrement, dans les Miscellanea centuria prima (1489), composées sur le modèle des Nuits attiques d'Aulu Gelle (entre 123 et 130-180), mélanges où brille cette fois le Politien historien des manuscrits comme correcteur, traducteur et interprète des textes antiques.

Ange Politien a enfin grandement participé au mouvement académique de la Florence humaniste, et notamment à l’Académie platonicienne de Careggi fondée en 1462 autour de Marsile Ficin, qui a été son professeur. Bien que peut-être, par un ultime revers de fortune, empoisonné par Pierre II de Médicis, l'un de ses anciens élèves, Ange Politien a cultivé le commerce amical et la sodalitas, comme en témoigne l’ex-libris présent sur nombre de ses manuscrits et livres, « Angeli Politiani et amicorum ». En France, où son œuvre est connue au moins dès le début du XVIe siècle, il va vite apparaître comme le modèle de l’humaniste à imiter, pour un Guillaume Budé ou encore un Rabelais, qui édite à Lyon en 1533 chez S. Gryphe le tome I de ses Opera contenant ses lettres et la première centurie des Miscellanea, puis fait deux mentions explicites à l’érudit italien dans son Gargantua, un an plus tard[4]. Ce n’est là que le début du succès de celui qui est considéré de nos jours comme le pionnier de la philologie moderne.  


 


[1] Voir le texte dans Stances / Stanze et Fable d'Orphée / Fabula di Orfeo (traduction d’Émilie Séris, notes de Francesco Bausi), Paris, Les Belles Lettres, 2006.

[2] Voir Jean-Marc Mandosio, « Un enseignement novateur : les cours d’Ange Politien à l’université de Florence (1480-1494) », "Le cours magistral XVe – XVIIIe siècles", Histoire de l’éducation, 120, 2008, p. 33-52. Aussi à ce lien (consulté le 24.05.2025).

[3] Voir Les Silves, texte traduit et commenté par Perrine Galand, Paris, Les Belles Lettres, 1987. Rappelons que le genre de la Sylve, du recueil poétique en latin, a été mis à l’honneur par Stace (40 ou 50-96 ap. J-C.), et que Lucain en particulier en a aussi composé. 

[4] Voir Claude La Charité, « Rabelais lecteur de Politien dans le Gargantua », Le Verger – bouquet 1, janvier 2012, Cornucopia (consulté le 24.05.2025).

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