Les Amis de Guillaume Budé – L’ars dictaminis

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Cette chronique  raconte la vie des Classiques à la Renaissance. Des contemporains de l’humaniste Guillaume Budé (1467-1540) permettent de voir comment l’Antiquité alimente la culture, la pensée et la langue de l’époque.

Avec la dernière chronique, nous avons commencé à parler de Dante épistolier. Il se trouve que les lettres du poète se comprennent mieux quand on sait qu’elles s’inscrivent dans la tradition de l’ars dictaminis, c’est-à-dire l’art épistolaire. Benoît Grévin, dans sa précieuse édition de la Correspondance (dont le premier tome est paru aux Belles Lettres) explique comment Dante s’appuie sur les codes du genre épistolaire tout en les renouvelant.

L’ars dictaminis naît à la fin du XIe siècle en Italie pour combler une lacune : il manquait à la rhétorique une « théorisation de l’art d’écrire des lettres » (Correspondance, tome 1, p. CXXXIII). « Les cadres de la communication épistolaire de qualité » (Ibid.) se définissent alors et vont se diffuser dans toute l’Europe.

L’écriture est très codifiée et ces codes sont différents en fonction du destinataire : le soin apporté aux adresses et salutations vont définir les rapports entre les interlocuteurs et le style (du plus humble au plus majestueux) sera choisi selon le destinataire. Cette « obsession hiérarchique » (ibid., p. CXXV) se retrouve dans certaines lettres de Dante, notamment dans celle qu’il écrit au nom des Blancs en exil (lettre I) ou les lettres d’apparat de la comtesse Gherardesca di Battifolle (lettres VIII à X). Une lettre répond à des « attentes formelles strictes, liées à la place hiérarchique du destinataire, autant qu’au sujet traité » (ibid., p. CXXXV). Dans tous les cas, le rythme de la phrase et les figures de rhétorique, la métaphore notamment, ont un grand rôle à jouer dans l’écriture. 

Des traités et des anthologies de lettres permettent d’apprendre l’ars dictaminis pour écrire à son tour. Les lettres à imiter sont celles de « la chancellerie papale, dont le stylus romanus allait rester jusqu’aux attaques de Pétrarque un modèle absolu de communication. Les meilleurs professeurs d’ars dictaminis […] déclarent régulièrement dans leurs traités suivre cette autorité apostolique. » (Ibid., p. CXXXIV) L’art épistolaire est donc d’une certaine manière un art de l’imitation. L’analyse de la correspondance de Dante permet de voir combien le poète doit à ces modèles et ce qu’il apporte à la théorie.

À son tour, Dante devient un modèle. Même si on ne copie presque plus de recueils de lettres après 1400, un certain « nombre d’anthologies du Quattrocento conservaient des pièces rhétoriques écrites selon les préceptes de l’ars dictaminis […] et certains manuscrits contenant des lettres de Dante entrent dans cette catégorie. » (Ibid., p. LI) Ainsi, Boccace, à qui l’on doit la conservation de diverses lettres de Dante, utilisa les lettres III et IV « comme source d’inspiration directe de deux des lettres d’apparat […] toutes deux rédigées en 1339. » (Ibid., p. XXXIII)

 

Onorate l’altissimo poeta ; / l’ombra sua torna, ch’era dipartita.
« Honorez le très grand poète ; / son ombre revient, qui était partie. »

 

Image : Dante, fresque du XVe siècle (source : Wikimedia)
Dante, fresque du XVe siècle (source : Wikimedia)

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