Les Amis de Guillaume Budé – Dante et Aristote

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Cette chronique raconte la vie des Classiques à la Renaissance. Des contemporains de l’humaniste Guillaume Budé (1467-1540) permettent de voir comment l’Antiquité alimente la culture, la pensée et la langue de l’époque.

La dernière chronique se terminait sur trois vers extraits du discours d’Ulysse à ses compagnons :

Considérez votre semence :
vous n'êtes pas fait pour vivre comme des brutes,
mais pour suivre la vertu et la connaissance. 

(Enfer, XXVI, v. 118-120)

Avant de parler d’Aristote, revenons un instant sur la figure d’Ulysse.

Dante a choisi le héros grec par excellence et il en a fait une figure fascinante et controversée, par certains aspects une doublure de lui-même tel qu’il devait être à l’époque où il écrivait le Banquet. Ulysse est le modèle noble de l’homme classique. Entièrement emporté par l’ardeur de la connaissance et par le désir de vertu, c’est-à-dire de valeur. Dans le discours que son Ulysse adresse à ses compagnons, on reconnaît en effet l’écho de l’Éthique à Nicomaque d’Aristote, superposée à la Genèse biblique. 

(Piero Boitani, « Dante et l’Antiquité », in Comptes rendus des séances de l'Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, 154e année, N. 1, 2010. p. 586-587)

Nous l’avons dit dans la chronique précédente, une telle soif de connaissance touche à la folie, pour Dante, tant elle est éloignée de Dieu. Virgile lui-même s’accuse et accuse « Aristote et Platon […] d’avoir possédé le même désir de connaissance sans fin qui est imputé à Ulysse » (Ibid., p. 588) dans un discours qui commence par « fou », ou « insensé » suivant les traductions (voir Purgatoire, III).

Cependant, comme pour tout érudit médiéval, Aristote est la référence de Dante : « il est moins un philosophe grec que la philosophie elle-même » (Glenn W. Most, « Les Grecs chez Dante », in La Grèce antique sous le regard du Moyen Âge occidental. Actes du 15ème colloque de la Villa Kérylos à Beaulieu-sur-Mer les 8 & 9 octobre 2004. Paris : Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, 2005. p. 101).

Aristote […] incarne la philosophie pour Dante à tel point qu'il ne l'appelle que rarement par son nom, préférant le désigner comme le Phylosophus ou « lo Filosofo ». Selon le Convivio, Aristote est « le maître de notre vie » (IV, 23), et tout un chapitre de cette œuvre (IV, 6) est consacré à prouver de manière appliquée et exhaustive qu'Aristote est le plus digne d'être cru et obéi.

(Ibid., p. 100)

Dante place Aristote parmi « les grands esprits » (Enfer, IV, v. 119) qu’il rencontre dans les limbes.

Dans l’Inferno, il est évoqué comme « il maestro di coloro che sanno » (IV, 131) — en fait, dans ce dernier passage, Dante ne se donne pas la peine d'utiliser le nom d'Aristote : ceux qui savent quelque chose savent que c'est Aristote qui leur a enseigné ce qu'ils savent ; quiconque aurait besoin que l'on nomme Aristote démontrerait ainsi qu'il n'a rien compris au poème de Dante.

(Ibid.)

Dante ne lisait pas le grec et a donc une connaissance de son œuvre par les traductions latines.

La vénération de Dante pour Aristote ne constitue pas un fait inhabituel pour son époque (ni d'ailleurs sa tendance à faire référence à Aristote simplement par « le Philosophe ») ; mais ce qui est remarquable, étant donné que précisément Dante n'était pas un philosophe professionnel, c'est la connaissance intime qu'il avait de l'œuvre d'Aristote. Excepté pour la Poétique (il ne la connaissait pas), Dante cite la quasi-totalité des œuvres transmises d'Aristote, les œuvres apocryphes bien sûr incluses ; il aimait particulièrement l’Éthique à Nicomaque, la Métaphysique et la Physique. Dante est capable de comparer différentes traductions d'œuvres d'Aristote s'il a des doutes sur le sens exact d'un passage (Convivio II, 15) ; mais jamais il ne lui vient à l'esprit qu'il pourrait se mettre à apprendre lui-même le grec pour lire Aristote dans l'original ou que cela lui permettrait de mieux comprendre Aristote.

(Ibid.)

Dante cite souvent la philosophie d’Aristote pour qu’elle rejoigne la doctrine chrétienne, mais il doit bien avouer que ni Aristote ni Platon n’ont pu saisir les vérités chrétiennes, comme la Trinité (voir Purgatoire, III).

 

« Onorate laltissimo poeta ; / lombra sua torna, chera dipartita. »
« Honorez le très grand poète ; / son ombre revient, qui était partie. »

 

Image : Buste d’Aristote (Marbre du IVe siècle av. J.-C. Source : Wikimedia)

Buste d’Aristote (Marbre du IVe siècle av. J.-C. Source : Wikimedia).

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