Les Amis de Guillaume Budé – La figure d’Énée

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Cette chronique  raconte la vie des Classiques à la Renaissance. Des contemporains de l’humaniste Guillaume Budé (1467-1540) permettent de voir comment l’Antiquité alimente la culture, la pensée et la langue de l’époque.

Qui dit Dante, dit Virgile. Et qui dit Virgile, dit Énée. Virgile décrit, au chant VI de l’Énéide, la descente de son personnage aux Enfers et sert de guide à Dante dans ce même lieu. Tout concourt donc à ce que nous consacrions une chronique à la figure d’Énée dans l’œuvre de Dante.

Dès le premier chant de l’Enfer, Dante présente Virgile comme un poète qui célébra Énée.

Je fus poète, et je chantai le juste
fils d’Anchise qui vint de Troie
quand l’orgueilleuse Ilion a été brûlée.

(Enfer, I, v. 73-75)

Nous ne reviendrons pas sur l’admiration que Dante porte à Virgile (voir chronique 11), mais nous nous attarderons sur le personnage d’Énée. Vous le connaissez bien, chers amis des classiques, et vous n’ignorez rien de son départ de Troie avec son père Anchise sur le dos, ni de ses amours avec Didon. La descente aux Enfers est l’un des passages les plus célèbres de l’Énéide. Dante y fait référence (Enfer, II) quand il craint de suivre Virgile : il rappelle à l’auteur que lui-même a écrit que si « le père de Silvius » (Enfer, II, v. 13), c’est-à-dire Énée, avait pu descendre vivant aux Enfers (et en revenir !) c’est que son mérite l’avait fait choisir comme fondateur de Rome et de son empire. Dante conclut ainsi sa démonstration : « Moi, je ne suis ni Énée ni Paul. » (Enfer, II, v. 32)

Pour le poète italien, Énée a accompli une mission divine (sans s’en douter) : il est choisi par « l’adversaire de tout mal » (Enfer, II, v. 16) pour fonder la ville où siège désormais le pape (voir Enfer, II, v. 24).

Énée est un personnage essentiel car il fonda Rome et permit à terme l’établissement de la papauté : sa mission lui fut donc assignée par Dieu.

(Bousquet-Labouérie Christine, « Les Enfers de Dante : le temps mis en scène », in Le temps vu par... Actes du 129e Congrès national des sociétés historiques et scientifiques, « Le temps », Besançon, 2004. Paris : Editions du CTHS, 2008, p. 226.)

C’est pourquoi, Énée se trouve parmi « les grands esprits » (Enfer, IV, v. 119) dans les limbes. Ce premier cercle du « monde aveugle » (Enfer, IV, v. 13) accueille des hommes de mérite, mais qui n’ont pas reçu le baptême. « Ils vécurent avant le christianisme et n’adorèrent pas Dieu correctement » (Enfer, IV, v. 37-38) et Virgile lui-même en fait partie.

Au chant XV du Paradis, Dante compare son trisaïeul Cacciaguida à Anchise voyant arriver à lui Énée aux Enfers. Cacciaguida s’adresse d’abord en latin à Dante :

O sanguis meus, o superinfusa
gratïa Deï, sicut tibi cui
bis unquam celi ianüa reclusa ?

(Paradis, XV, v. 28-30)

« “Ô mon sang, ô abondante grâce divine, à qui comme à toi fut ouverte deux fois la porte du ciel ?” : ce discours latin de Dante, écrit avec des réminiscences virgiliennes (Énéide VI, 835) et des souvenirs bibliques, donne une sacralité particulière au langage de l’ancêtre. » (Jacqueline Risset, note 30, p. 341 in Dante, Le Paradis, GF, 2004)

Si Cacciaguida est un nouvel Anchise, Dante figure un nouvel Énée.

L'épisode de Cacciaguida, situé au centre du Paradis, confirme la mission, politique et morale, de Dante.

(Ibid.)

 

« Onorate laltissimo poeta ; / lombra sua torna, chera dipartita. »
« Honorez le très grand poète ; / son ombre revient, qui était partie. »

 

Image : Énée aux Enfers, par Pierre Paul Rubens, XVIIe siècle (source : Wikimedia).
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Énée aux Enfers, par Pierre Paul Rubens, XVIIe siècle (source : Wikimedia). 

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