Chroniques anachroniques – Le boost de l’athlète

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À un moment où l’information fuse de toutes parts, il nous a paru intéressant de l’ancrer dans des textes très anciens, afin que l’actualité et l’histoire se miroitent et s’éclairent dans un regard tantôt ou tout ensemble stimulant et amusé, songeur ou inquiet.

L’athlète moderne de haut niveau a dans son entourage de nombreux spécialistes – entraîneur, préparateur mental, nutritionniste… – pour optimiser ses performances sportives. L’Antiquité n’était pas en reste en terme de diététique, puisque médecins et érudits pressentaient le rôle primordial d’une bonne alimentation, ce dont Athénée de Naucratis témoigne.

Θεαγένης δ´ ὁ Θάσιος ἀθλητὴς ταῦρον μόνος κατέφαγεν, ὡς Ποσείδιππός φησιν ἐν ἐπιγράμμασι· « Καίπερ συνθεσίης ἔφαγόν ποτε Μῃόνιον βοῦν· πάτρη γὰρ βρώμην οὐκ ἂν ἐπέσχε Θάσος Θευγένει· ἅσσα φαγὼν ἔτ´ ἐπῄτεον. Οὕνεκεν οὕτω χάλκεος ἑστήκω χεῖρα προισχόμενος. » Μίλων δ´ ὁ Κροτωνιάτης, ὥς φησιν ὁ Ἱεραπολίτης Θεόδωρος ἐν τοῖς περὶ ἀγώνων, ἤσθιε μνᾶς κρεῶν εἴκοσι καὶ τοσαύτας ἄρτων οἴνου τε τρεῖς χοᾶς ἔπινεν. Ἐν δὲ Ὀλυμπίᾳ ταῦρον ἀναθέμενος τοῖς ὤμοις τετραέτη καὶ τοῦτον περιενέγκας τὸ στάδιον μετὰ ταῦτα δαιτρεύσας μόνος αὐτὸν κατέφαγεν ἐν μιᾷ ἡμέρᾳ. Τίτορμός τε ὁ Αἰτωλὸς διηριστήσατο αὐτῷ βοῦν, ὡς ἱστορεῖ ὁ Αἰτωλὸς Ἀλέξανδρος. Φύλαρχος δέ φησιν ἐν τῇ γʹ τῶν ἱστοριῶν τὸν Μίλωνα ταῦρον καταφαγεῖν κατακλιθέντα πρὸ τοῦ βωμοῦ τοῦ Διός· διὸ καὶ ποιῆσαι εἰς αὐτὸν Δωριέα τὸν ποιητὴν τάδε· « Τοῖος ἔην Μίλων, ὅτ´ ἀπὸ χθονὸς ἤρατο βρῖθος, τετραέτη δαμάλην ἐν Διὸς εἰλαπίναις, ὤμοις δὲ κτῆνος τὸ πελώριον ὡς νέον ἄρνα ἤνεγκεν δι´ ὅλης κοῦφα πανηγύρεως. Καὶ θάμβος μέν, ἀτὰρ τοῦδε πλέον ἤνυσε θαῦμα πρόσθεν Πισαίου, ξεῖνε, θυηπολίου· ὃν γὰρ ἐπόμπευσεν βοῦν ἄζυγον, εἰς κρέα τόνδε κόψας πάντα κατ´ οὖν μοῦνος ἐδαίσατό νιν. »

Théagène, athlète de Thase, dévora seul un taureau, comme le dit Posidippe dans ses Épigrammes. « J'ai en outre, dans une gageure, mangé un bœuf de Méonie ; d'ailleurs, Thase, ma patrie, ne me fournissait pas la nourriture nécessaire, à moi Théagène, qui, mangeant tant, étais encore obligé de mendier ; c'est pourquoi je tends la main, représenté par cette statue de bronze. » Théodore d'Hiérapolis rapporte, dans ses Combats gymniques, que Milon de Crotone mangeait vingt mines pesant de viandes, autant de pain, et buvait trois conges de vin. Étant à Olympie, il prit sur ses épaules un taureau de trois ans, fit avec tout le tour du Stade ; après quoi il le fit cuire, et le mangea seul le même jour. Titormos l'Étolien lui disputa un bœuf ; mais Phylarque dit, liv. 3 de ses Histoires, que Milon, couché près de l'autel de Jupiter, mangea un taureau entier, et que le poète Doricus fit ces vers à son sujet. « Tel fut Milon, lorsqu'il leva de terre le poids d'une bête de trois ans aux repas publics qu'on faisait aux fêtes de Jupiter, et porta lestement sur ses épaules cet animal prodigieux, par toute l'assemblée, comme s'il eût porté un agneau né depuis peu. Ce fut un étonnement général ; mais étranger, il fit encore autre chose de bien plus surprenant, près des sacrifices qu'on offre à Pise. Il coupa par pièces le bœuf qui n'avait pas été mis au joug, après l'avoir porté en pompe, et le mangea seul. »

Athénée de Naucratis, Les Deipnosophistes, X, 412 d-f,
traduction tirée du site Hodoi Elektronikai

 

Les athlètes dans l’Antiquité ont un régime élaboré selon leurs efforts. Pour les coureurs, tel Milon de Crotone (VIᵉ av. notre ère), le régime carné était de mise. Ses exploits sont mis sur le compte de sa consommation inouïe de viande. C’est l’entraîneur qui détermine l’alimentation des sportifs, ce qui implique une certaine maîtrise des règles de la diététique. Au contraire, le médecin Galien (IIᵉ s. de notre ère) souligne le paradoxe entre diététique (= retenue) et excès de nourriture des athlètes. L’exigence de performance détonne en effet avec un mode vie déréglé, ce qui fait écho aux sportifs actuels de haut niveau : jusqu’où peut aller la dialectique de la performance et de l’alimentation ?

Les gladiateurs ont, eux, une alimentation principalement végétale, notamment faite à base de fèves. Sous forme de bouillie ou de soupe, la fève était considérée comme capable de renforcer les qualités du corps, grâce à son apport en protéines et en glucides, nécessaires pour les rudes combats dans l’arène. Les gladiateurs recouraient aussi à des boissons énergisantes. La croyance était bien ancrée selon laquelle l’alimentation contribuait à l’amélioration des performances, parfois au risque de dérives néfastes pour la santé, comme la boisson à base de cendres !

La notion de nourriture avantageuse et déloyale, au détriment de l’effort, existe déjà, puisqu’un juge était placé à l’entrée des stades pour sentir l’haleine des compétiteurs. Mais le dopage ayant toujours une longueur d’avance sur le contrôle anti-dopage, les athlètes n’hésitaient pas à ingurgiter compléments alimentaires, stimulants, hallucinogènes ou extraits de testicules d’animaux pour gagner.

Triche ou pas, les compléments alimentaires avaient encore de beaux jours devant eux !

Christelle Laizé et Philippe Guisard