Chroniques anachroniques – Anti-morosité XVII : petit O

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À un moment où l’information fuse de toutes parts, il nous a paru intéressant de l’ancrer dans des textes très anciens, afin que l’actualité et l’histoire se miroitent et s’éclairent dans un regard tantôt ou tout ensemble stimulant et amusé, songeur ou inquiet.

Nous vivons une période tellement surprenante que même les maladies se mettent à parler grec et à réciter leur alpha, bêta…Elles y prennent un tel plaisir que, après avoir buté sur le delta, elles en sont déjà à l’omicron.
Raconte-nous, Muse, cette lettre aux mille tours…

 

 

Image : Évolution de la lettre o

 

 

C’est la seule lettre que la bouche prononce en dessinant sa forme. Issue du symbole de l’œil humain, important dans l’écriture hiéroglyphique égyptienne, cette lettre fut, à partir des inscriptions du Sinaï à Serabit el-Khadim, empruntée par le monde sémitique, vers 1750 avant notre ère, pour devenir le ayin, dénotant un son guttural dur, une consonne, qui était aussi le premier son du nom de « l’œil ». L’œil ovale fut progressivement arrondi en cercle et, dans l’alphabet phénicien de 1000 avant notre ère, ayin était la 16e lettre. Lorsque les Grecs adoptèrent l’alphabet phénicien vers 800 avant notre ère, ce son guttural étranger à leur langue laissa un signe vide. Les Grecs, optimisant le système alphabétique jusqu’à noter les consonnes et les voyelles, lui affectèrent la valeur que nous lui connaissons aujourd’hui, peut-être en mariant la forme du O avec le son de façon mimétique. Jusqu’en 660 avant notre ère, date de la création de l’oméga, cette lettre notait de façon indifférenciée un O long et un O bref. C’est à cette date qu’il prit le nom de « petit O ». Comme l’alphabet grec atteignit les côtes italiennes avant la création de l’oméga, les Étrusques, et à leur suite les Romains, copièrent et adaptèrent à leur langue, cet unique O.

Une telle pérennité graphique et phonique du O lui a valu des succès commerciaux : ainsi le magazine pour femmes de la reine des talk-shows américains intitulé O, The Oprah Magazine, connaît un succès phénoménal depuis l’an 2000. Surnommé O magazine, il a bénéficié de la forme suggestive et subliminale de cette lettre qui l’associe aux femmes, au point de s’en servir comme titre et comme logo. La sexologue Lou Paget ose davantage en créant de véritables guides du plaisir érotique féminin : L’orgasme sans tabou, intitulé The big O en anglais, orne sa couverture d’un grand petit O.

En espérant que cette formidable élasticité de l’omicron, entre pandémie et plaisir, se résolve en un joli zéro, dont il se trouve, par hasard, avoir la même forme et la même taille dans l’écriture européenne depuis le XVe s. !

 

Christelle Laizé et Philippe Guisard

 

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