Priape & Vénus – Plantes et sexualité

Média :
Image :
Texte :

Jeune femme passionnée par la Rome antique, j’ai développé, au cours de mes études et au fil de diverses conférences et lectures, un intérêt grandissant pour la sexualité des Romains. Comment le sexe était-il perçu, pratiqué ou évoqué par nos ancêtres ? Voilà l’objectif de cette chronique qui tentera d’expliquer le présent par le passé.

L’une des choses que je préfère dans le langage sexuel et érotique, c’est sa diversité et sa créativité. Ce dernier abonde ainsi depuis des siècles en métaphores et allusions végétales. On parle de « bouton de rose » pour évoquer le clitoris ou d’asperge pour la verge. La langue française possède également des expressions fleuries pour évoquer la sexualité, on peut penser au terme « déflorer », qui signifie « dépouiller de sa fraicheur », et par là « prendre la virginité d’une femme ». Plus récemment, on va employer les émoticônes de la pêche ou de l’aubergine pour désigner la vulve ou le phallus. On retrouve aussi ces images dans certaines publicités, comme dans la campagne Viva la vulva de la marque Nana[1].

 

Image : Pub Nana : Le CSA autorise la diffusion de la campagne « Viva la Vulva »

 

Certaines plantes, rien que par leur aspect, évoquent immédiatement, les organes sexuels, et en tirent leur nomenclature. On peut ainsi citer l’orchidée dont le nom vient du grec ὄρχις qui signifie « testicule » !

Dans l’Antiquité gréco-romaine, une plante semble fortement associée à la sexualité et à ce qui l’entoure : le myrte (τό μύρτον, ου). Il s’agit d’un petit buisson à feuilles persistantes qui peut mesurer jusque trois mètres de haut et dont il existe plusieurs variétés. Il possède des fleurs blanches et odorantes, des baies foncées, ainsi que des feuilles pointues. Il n’est évidemment pas la seule plante à connotation sexuelle dans le monde antique.

 

Image : Myrte : planter et tailler – Ooreka

 

Le myrte connait un usage quotidien tant en Grèce qu’à Rome. Il est tour-à-tour employé en contexte cultuel, médicinal, funéraire, nuptial mais aussi lors de célébrations ou de banquets. Le myrte est également étroitement lié à la fécondité et la fertilité. Il apparait véritablement comme une « plante du féminin ». C’est sur ce rapport avec la sexualité et le corps féminin que je me pencherai dans cette chronique, même si son emploi et sa signification sont évidemment bien plus vastes[2].

Sur le plan cultuel, le myrte est essentiellement associé à Aphrodite, déesse de l’amour. Il en devient même le symbole et peut la définir par métonymie. Il existe de nombreux textes relatant l’origine de cette attribution du myrte à Aphrodite. On le trouve par exemple chez Ovide :

« Rite deam colitis Latiae matresque nurusque
Et uos, quis vittae longaque westis abest.
Aura marmoreo redimicula demite collo,
Demite divitias : tota lauanda dea est.
Aurea siccato redimicula reddite collo;
Nunc alii flores, nunc noua danda rosa est.
Vos quoque sub uiridi myrto iubet ipsa lauari
Causaque cur jubeat discite, certa subest.
Litore siccabat rorantes nuda capillos;
Viderunt satyri, turba proterua, deam.
Sensit et opposita texit sua corpora myrto :
Tuta fuit facto osque referre iubet. »

« Vous honorez la déesse selon le rite, mères et filles du Latium, ainsi que vous qui ne portez ni bandelettes ni robe longue. Otez les colliers d'or de son cou de marbre, ôtez-lui ses bijoux : la déesse tout entière doit être baignée. Remettez-lui les colliers d'or, une fois que son cou est sec. C'est le moment de remplacer les fleurs, le moment de renouveler les roses. A vous aussi, elle vous prescrit de vous baigner, couronnées de myrte vert ; apprenez la raison de cette prescription : elle est précise. Toute nue sur le rivage, elle séchait ses cheveux ruisselants ; un groupe effronté de satyres vit la déesse. Elle s'en aperçut et dissimula son corps derrière un écran de myrte. Ce faisant elle se mit à l'abri et elle vous prescrit de commémorer ce geste [3]. »

On voit ici que le myrte possède une dimension érotique. Il sert ici à cacher le corps de la déesse des regards. Un autre mythe montre cette dimension érotique, mais sous un autre aspect. Il s’agit du mythe de Dictyna, rapporté par Callimaque (III° ACN) dans son Hymne à Artémis[4] :

« Plus que nulle autre tu aimas la nymphe de Gortyne, Britomartis, la tueuse de faons, archer habile ; pour elle Minos ; saisi d'amour, parcourut les monts de Crète. Mais elle, ici sous les chênes, là dans les hautes herbes se dérobait à lui. Neuf mois il hanta escarpements et précipices ; neuf mois il tint sa poursuite, jusqu'au jour où, tout près d'être saisie, elle bondit dans les flots du haut d'un rocher, et tomba dans des filets de pêcheurs qui la sauvèrent. D'où les hommes de Kydón ont donné à la nymphe le nom de Dictyna, au mont d'où elle sauta dans la mer celui de Dicté ; ils lui ont élevé des autels et lui offrent des sacrifices : en cette fête on se couronne de pin ou de lentisque, on ne touche pas au feuillage du myrte ; car c'est à une branche de myrte que se prit le péplos de la nymphe, tandis qu'elle fuyait ; d'où, contre lui, sa grande colère. »

La dimension érotique est ici due à la fuite de la nymphe. Le buisson entrave sa fuite, mais se faisant la libère des assiduités de Minos. On pourrait considérer que le myrte l’a protégée de l’amour du roi.

Le myrte, et plus spécifiquement ses baies, est également une métaphore pour désigner le sexe féminin. Dans certains cas, on peut même le comprendre dans le sens de « clitoris ». On en trouve plusieurs exemples chez Aristophane (V° ACN) :

« Nous souffrons. Nous marchons par la ville comme si nous portions des lanternes, tout courbés. Car les femmes ne veulent même pas qu’on touche à leur “myrte”, que nous n’ayons tous d’un commun accord fait la paix dans l’Hellade[5]. »

A côté de ces aspects plus érotiques, le myrte possède également des vertus de fécondité et de fertilité. Dans le corpus médical, le myrte est principalement employé pour soigner le corps de la femme. Son emploi est cependant quelque peu paradoxal puisqu’il est à la fois utilisé pour favoriser la conception, mais également comme abortif [6] ! L’usage du myrte comme abortif doit être lié à son association avec la mort. Il permet aussi de soigner divers problèmes liés aux organes génitaux de la femme.

Le myrte, tant en Grèce qu’à Rome, est présent lors des cérémonies de mariage. Pline l’Ancien évoque ce lien au quinzième livre de son Histoire Naturelle : « Caton a signalé trois espèces de myrte, le noir, le blanc, le conjugal, peut-être ainsi nommé à cause des mariages et du myrte de Vénus Cloacine[7] ».

Il est probable que la plante symbolise l’amour des deux époux, ou l’immortalité de leur union. Le myrte étant considéré, puisqu’il reste vert toute l’année, représenter l’immortalité de l’âme, et par extension l’immortalité elle-même.

Le myrte, dans les relations amoureuses, semble aussi avoir une dimension de prière, de souhait. On peut le voir dans ce texte de Pausanias (II° siècle) : « ..., et quand on traverse le fleuve de l’Hermon il y a à Temnos une statue d’Aphrodite faite en bois de myrte en fleur. La tradition nous transmet que c’est une consécration de Pélops, qui adressait une prière propitiatoire à la déesse et qui lui demandait d’obtenir Hippodamie en mariage[8]. » En dédiant à Aphrodite une statue de myrte, Pélops demande un mariage heureux et les faveurs d’Aphrodite. On voit bien ici le lien entre myrte, amour et Aphrodite.

Un dernier point que l’on peut aborder est la question des songes. Leur signification a fait l’objet de plusieurs études dans le monde antique. La plus connue est probablement celle d’Artémidore (II° siècle). Rêver de myrte peut avoir diverses significations. On lit que les rêves contenant des couronnes de myrte « procurent des mariages avec des femmes libres à cause de l’entrelacement, et elles prédisent des enfants de longue vie parce que ces arbres sont toujours verts[9] ».  On voit ici l’aspect amoureux et fécond du myrte. Mais rêver de myrte, l’arbuste et non pas une couronne, possède une tout autre signification : « le buis, le myrte, le laurier-rose indiquent des femmes pareilles aux courtisanes et pas trop rangées[10] ». On remarque en effet que de nombreuses hétaïres ou courtisanes ont un nom évoquant le myrte : Lucien, dans son Dialogue des courtisanes, nomme deux hétaires Myrtium et Myrtale.

Au travers de tous ces textes, nous découvrons une plante à forte connotation féminine, érotique. Mais bien plus que cela, l’étude du myrte nous montre que depuis le V° siècle avant notre ère, les plantes sont associées à la sexualité et embellissent le langage sexuel et érotique.

 

[2] Tous les textes cités dans cette chroniques (sauf indication contraire) sont issus de la Collection des Universités de France.

[3] Ovide, Fastes, IV, 133-144.

[4] Callimaque, Hymne à Artémis, 188-205.

[5] Aristophane, Lysistrata, 1001-1006.

[6] Soranos d'Éphèse, Maladie des femmes, I, 20.

[7] Pline l'Ancien, Histoire Naturelle, XV, 37.

[8] Pausanias, Description de la Grèce, V, 13, 7.

[9] Artémidore, La clé des songes, I, 77.

[10] Ibid II, 25, 26.

Dans la même chronique

Dernières chroniques