Optionnel — Ave Caesar, morituri te salutant

Texte :

 

Pauline  Lejeune enseigne le latin et le grec dans un lycée de la banlieue parisienne. C’est son choix. Partagez le quotidien d’un cours pas tout à fait comme les autres.

Le séminaire de langues anciennes, sorte de panégyrie moderne, rassemble tous les ans les professeurs de lettres classiques venus de Gaule et de Navarre. En temps normal, votre humble et dévouée servante vous aurait fait une typologie des oiseaux rares que l’on peut rencontrer dans ce type de raout à la grecque : jeunes diplômés, arrogants ou terrorisés, dont les pantomimes évocatrices font sourire de nostalgie ; ardents trublions qui font grincer quelques dents dociles ou encore les vieux sages comme ce monsieur d’un certain âge, présent tous les ans avec son nœud papillon sans doute destiné à rappeler le caractère ancien et quelque peu suranné mais combien élégant des langues qu’il enseigne.

J’aurais pu en rajouter un peu, cyniquement, sur le fait que la salle est pour l’essentiel (disons, à XCVIII %) féminine tandis que les quatre inspecteurs assis sur l’estrade n’ont que peu de considération pour la seule inspectrice qui tente, tant bien que mal de faire entendre sa voix… J’aurais pu écrire tout cela avec une pointe de légèreté et une once de malice juvénalienne. Je l’aurais pu … si le panem et les circenses offerts cette année à l’assemblée n’avaient pas eu le goût amer de la ciguë, celle que l’on contraint les professeurs de lettres classiques à boire goutte à goutte depuis qu’en haut lieu il a été décidé de réformer l’enseignement du collège. Je l’aurais peut-être pu, si à la mort tragique et programmée de l’enseignement du latin et du grec, (déjà devenu branche, que dis-je, brindille du CAPES de lettres) ne s’étaient pas ajoutés les mensonges d’un plan de communication qui affaiblit encore plus le peu de considération dont jouissent aujourd’hui les professeurs et avec eux les élites intellectuelles et culturelles. Je l’aurais sans doute encore pu, si nous nous étions sentis soutenus par ceux qui évaluent au quotidien notre travail, chefs d’établissement et inspecteurs, au lieu de les entendre nous répéter ad libitum que nous devons nous battre (encore !) pour défendre notre enseignement.

Mais tout le monde n’a pas l’âme d’un Spartacus et aujourd’hui même les gladiateurs les plus fraîchement arrivés dans l’arène demandent leur missio : ave Caesar, morituri te salutant.

Dans la même chronique

Dernières chroniques