Le retour des Titans – Cronos

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Parlez-vous Titan ? Peut-on comprendre les Titans ? Les personnages les plus vieux et costauds de la mythologie sont tous les jours dans nos discours. Adrien Bresson et Laure de Chantal traquent les paroles des Titans et des Titanides dans la langue française.

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1. Qui est Cronos ?

Le Titan Cronos, ou Kronos, selon que l’on transcrive le kappa grec par un « c » ou par un « k » – mais en tout cas sans « h », est le fils d’Ouranos, le Ciel, et de Gaïa, la Terre. Il est l’époux de Rhéa, sa sœur, et le père de nombreuses divinités de l’Olympe : Hestia, Déméter, Héra, Hadès, Poséidon et Zeus. Cronos est le plus jeune des Titans, qui étaient emprisonnés dans les entrailles de Gaïa par Ouranos, qui les empêchait de sortir. Afin de se délivrer, ainsi que ses enfants, Gaïa donne à Cronos une faucille en silex, qu’il utilise pour émasculer son père. De la semence d’Ouranos répandue nait notamment Vénus, entre autres divinités. Cronos prend ensuite le pouvoir.
Une fois qu’il règne sur le monde, dans la crainte qu’un sort analogue à celui de son père ne lui arrive, il fait enfermer sous Terre (Gaïa) les Géants et les Cyclopes, mais il engloutit également ses propres enfants au fur et à mesure que son épouse les met au monde, comme il avait été averti par une prophétie de Gaïa qu’un jour l’un d’entre eux le détrônerait. À la naissance du sixième enfant, Zeus, sa mère, Rhéa, sur les conseils de Gaïa – qui cimente le règne de Cronos à son origine et à son terme, le cache en Crète et le remplace par une pierre, que Cronos engloutit. Zeus, élevé par la chèvre Amalthée, accomplit la prophétie en renversant son père avec l’aide des Cyclopes et des Géants. Cronos régurgite ensuite toute la descendance qu’il avait engloutie. Il est ensuite éternellement enfermé dans le Tartare.

 

2. Qui nous parle de Cronos ?

Ce sont essentiellement chez les auteurs grecs qu’il est question de Cronos, quoique son pendant latin, Saturne, soit mentionné par Cicéron dans le De natura deorum ou encore par Ovide dans les Métamorphoses. Diodore de Sicile, dans sa Bibliothèque historique, fait référence à Cronos, au livre V, de même qu’Hésiode, qui est certainement celui qui accorde le plus de place aux Titans, au vu de la somme littéraire qu’il compose. Sa Théogonie s’intéresse en effet à la succession des générations divines, jusqu’à aboutir à la formation du panthéon des dieux. Ainsi, Hésiode ne manque pas de livrer, par exemple, le récit de l’affrontement de Cronos et d’Ouranos :

« Mais le fils, de son poste, étendit la main gauche, tandis que de la droite, il saisissait l’énorme, la longue serpe aux dents aiguës ; et, brusquement, il faucha les bourses de son père, pour les jeter ensuite, au hasard, derrière lui. Ce ne fut pas pourtant un vain débris qui lors s’enfuit de sa main. Des éclaboussures sanglantes en avaient jailli ; Terre les reçut toutes, et, avec le cours des années, elle en fit naître les puissantes Érinyes. »

Hésiode, Théogonie, Paul Mazon trad., v. 177-185, Paris, Les Belles Lettres, 1928.

Les Érinyes, divinités persécutrices, punissent ceux qui font le mal. Nées du mal, elles le châtient. Ce mal figure d’ailleurs, très probablement, dans le nom même de Cronos, étymologiquement.

 

3. Quelle est l’étymologie de Cronos ?

Il y a plusieurs tentatives pour expliquer l’étymologie de Cronos, sans que toutes soient consensuelles. Ainsi, il serait possible que Κρόνος (Cronos) soit un dérivé de la même racine indo-européenne que chran qui signifie, en russe, « baleine ». Ainsi, Cronos serait assimilé à un avaleur, et rattaché à la terrible action qui le caractérise, celle d’un dévoreur d’enfants.
Il serait également probable que dans Κρόνος, la partie -όνος soit l’indicateur d’une action, et que le Κρ- puisse être rattaché à la racine ker- signifiant « couper ». Cronos serait ainsi « le coupeur », en référence au fait qu’il ait émasculé Ouranos.
Il ne faut en tout cas pas confondre Κρόνος, écrit avec un kappa, avec son homophone Χρόνος, avec un chi. Cette dérive étymologique, apparue durant l’Antiquité tardive, ne repose sur aucune base linguistique. Elle tient son origine d’une confusion entre deux termes. Chronos est en effet, quant à lui, une personnification du temps dont l’origine repose sur une tradition différente de celle de Cronos. Nous consacrerons une prochaine chronique à la figure de Chronos. Son homonyme Cronos n’a en tout cas aucun rapport avec la chronologie, la chronique, et donc avec le temps, qui se dit bel et bien χρόνος en grec ancien.

 

4. Que reste-t-il de Cronos aujourd’hui ?

Le fait que l’étymologie du nom Cronos soit relativement incertaine explique certainement qu’il n’y ait ni mot ni expression qui soit passés le concernant, en français, dans le langage courant. Deux tableaux célèbres ne manquent en revanche pas de célébrer le Titan sous ses traits les plus monstrueux. Le premier, Saturne (ou Cronos) dévorant son fils a été peint par Rubens en 1636. C’est une œuvre de commande qui illustre toute la monstruosité du Titan, occupé à arracher les chairs de sa progéniture. Le deuxième, Saturne dévorant un de ses fils, peint par Goya entre 1818 et 1823, avec son fond noir et ses traces sanguinolentes, représente également Cronos sous les traits d’un dévoreur. Le rattachement du Titan, par les deux peintres, à l’image d’un monstre qui engloutit les enfants peut d’ailleurs nous conduire à nous demander si les légendes du croque-mitaine et de l’ogre ne seraient pas en partie en lien avec la représentation de Cronos qui persiste dans l’imaginaire commun.

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