Chroniques anachroniques - Par Toutatis !

Texte :

En mai dernier disparaissait l’un des plus éminents spécialistes du monde celtique et de la Gaule, Christian Goudineau. Il a rendu visible et accessible cette vaste culture, étendue sur une vaste partie de l’Europe actuelle, qui pour les Antiquisants classiques, est oblitérée par la mémoire littéraire gréco-romaine, bien que les Anciens n’y fussent pas indifférents. À une heure où les études gauloises connaissent, avec les prospections archéologiques des grands chantiers d’aménagement du territoire, une certaine effervescence et reconsidèrent beaucoup de dossiers, qu’hommage lui soit rendu à travers cette chronique, par ce texte du Pseudo-Plutarque qu’il a analysé.

L’Arar est un fleuve de la Celtique dont le cours est ainsi nommé avant sa réunion avec le Rhône ; il se jette dans ce dernier en traversant le pays des Allobroges. Précédemment, il s’appelait Brigoulos, et voici pourquoi il a changé de nom. (Un dénommé) Arar, pour chasser, pénétra dans une forêt et y trouva son frère Celtiberos déchiré par les bêtes sauvages. Eperdu de chagrin, il se blessa lui-même mortellement et se jeta dans le fleuve Brigoulos qui prit ainsi le nom d’Arar. Dans ce fleuve, vit un grand poisson appelé par les indigènes « cloupaia ». Lorsque la lune croît, il est blanc ; lorsqu’elle décroît, il devient entièrement noir. Lorsqu’il a atteint sa taille extrême, il est tué par ses propres arêtes.
 Dans la source (de ce fleuve), on trouve aussi une pierre semblable à un grain de sel qui agit merveilleusement sur les fièvres quartes si on l’applique sur les parties gauches du corps lorsque la lune décroît : c’est ce que rapporte Callisthène de Sybaris dans le livre XIII des Galatiques, auquel Timagène a emprunté cette notation. Auprès de ce fleuve se dresse un mont appelé Lougdounon. Voici pourquoi il a changé de nom. Mômoros et Atepomaros, chassés du pouvoir par 
Sésêroneos, gagnèrent cette colline que leur avait désignée un oracle afin d’y fonder une ville. Alors qu’on creusait les fondations, d’un coup apparurent des corbeaux voltigeant de tout côté, qui emplirent les arbres alentour. Alors Mômoros, très versé dans la science augurale, nomma cette ville Lougdounon. En effet, dans leur dialecte, on appelle le corbeau « lougon » et « dounon » un lieu saillant. C’est ce que rapporte Clitophon dans le livre XIII de ses Fondations urbaines.

Pseudo-Plutarque, De fluuiis, 1-4

D’après Christian Goudineau

Le celtologue, titulaire de la Chaire des Antiquités nationales attire, par ce texte, notre attention sur une étymologie gauloise, celle du nom de la ville de Lyon : elle ferait allusion à Lugdunum, comme montagne ou rocher de Lug, héros ultérieur des épopées d’Irlande celtique. Bien qu’il penche, avec Pierre Flobert, vers une étymologie en « Cler-mont », la montagne lumineuse (*leug-/lug->lux), néanmoins, la seconde partie du nom demeure proprement gauloise. Outre les 71 mots courants du français venant de cette langue perdue (l’alouette, le balai, le bouc, le bouleau, briser, changer, la charrue, le chêne, craindre, le druide, la lande, le quai, le valet…), notre toponymie est extrêmement révélatrice et riche du substrat gaulois. Ainsi, elle révèle, par le recours aux suffixes :

des lieux défensifs

–dunum (Lugdunum, « marché forteresse », Autun, « forteresse d’Auguste », Laon, « forteresse de Lug », Verdun, « super forteresse »), -durum (Nanterre, soit Nemetodurum « forteresse sanctuaire », Auxerre « forteresse d’Autisius ») et suffixe –rato (Carpentras, « forteresse + char »)

des lieux de marché grâce au suffixe –magus (Rouen, soit Rotomagus, Noyon soit Noviomagus « nouveau marché »)

des situations particulières, avec le suffixe –lan « l’anneau, la plaine », comme Meulan soit Mediolanum « milieu de la plaine »

Nous décelons en outre en toponymie un suffixe gaulois –acos (marquant la propriété) : il se maintient dans le patrimoine occitan en –ac/-at mais subit des évolutions phonétiques locales, -y ou –ay/ai dans le bassin parisien, le Nord et le Centre, -é dans l’Ouest, -ey en Franche-Comté et –eu/-ieu autour de Lyon et dans les Alpes. Se rencontre en Saintonge un curieux mélange de 3 formes du suffixe : Loulay, Cognac et Courcourry.

Nous espérons que cette chronique vous invitera à vous interroger sur le lieu de vos vacances et vous prendre au jeu de débusquer quelques gauloiseries étymologiques.

Ils sont fous ces Gaulois, mais toujours présents !

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