Chroniques anachroniques - Anti-morosité XI : Sans chemise, avec pantalon

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À un moment où l’information fuse de toutes parts, il nous a paru intéressant de l’ancrer dans des textes très anciens, afin que l’actualité et l’histoire se miroitent et s’éclairent dans un regard tantôt ou tout ensemble stimulant et amusé, songeur ou inquiet.

Après un été en demi-teinte, l’uniforme qui a conquis le monde entier et les deux sexes reprend ses pleins droits. Particulièrement pratique, il a supplanté bien des tenues vestimentaires traditionnelles, fier de la multiplicité de ses formes, de ses matières et de cet esprit de liberté qu’il a toujours insufflé. D’où vient-il vraiment ? Comment s’est-il répandu ? Ce sont les deux ethnographes grecs, Diodore de Sicile et Strabon (Ier s. av. notre ère) qui en notent l’exotisme celte, lorsqu’ils étudient les peuples gaulois.

Σαγηφοροῦσι δὲ καὶ κομοτροφοῦσι καὶ ἀναξυρίσι χρῶνται περιτεταμέναις, ἀντὶ δὲ χιτώνων σχιστοὺς χειριδωτοὺς φέρουσι μέχρι αἰδοίων καὶ γλουτῶν. Ἡ δ' ἐρέα τραχεῖα μέν, ἀκρόμαλλος δέ, ἀφ' ἧς τοὺς δασεῖς σάγους ἐξυφαίνουσιν, οὓς λαίνας καλοῦσιν· οἱ μέντοι Ῥωμαῖοι καὶ ἐν τοῖς προσβορροτάτοις ὑποδιφθέρους τρέφουσι ποίμνας ἱκανῶς ἀστείας ἐρέας.

Les Gaulois sont habillés de saies, ils laissent croître leurs cheveux et portent des anaxyrides ou braies larges et flottantes, et, au lieu de tuniques, des blouses à manches qui leur descendent jusqu'aux parties et au bas des reins. La laine dont ils se servent pour tisser ces épais sayons appelés « laenae » est rude, mais très longue de poil. Les Romains réussissent pourtant, et cela dans les parties les plus septentrionales de la Belgique, à obtenir une laine passablement soyeuse en faisant couvrir de peaux les brebis.

Strabon, Géographie, IV, 4,
texte établi et traduit par G. Aujac,
Paris, Les Belles Lettres, 1966

En effet, les braies étaient si fortement associées aux peuples celtes que l’ancêtre de notre pantalon était considéré comme un signe d’arriération, d’altérité, bref, d’appartenance au monde barbare (c’est encore le cas, de nos jours, en Écosse ou dans certaines parties des Balkans, où les hommes affichent leur fierté en portant des robes ou des jupes !). Au-delà de cette image d’Épinal, l’archéologie récente a retrouvé des traces du pantalon, bien plus à l’Est, dans les steppes eurasiennes, remontant au 1er millénaire (chez les Cimmériens et les Scythes). Mais, en 2014, des investigations dans l’ouest de la Chine ont mis à jour une pièce de laine qui suivait le schéma du pantalon (chaque jambe isolée avec une pièce pour l’entre-jambe) du IIe millénaire. Sa forme tridimensionnelle était un défi pour l’intelligence pratique de l’homme qui nécessitait des connaissances techniques précises. Pourquoi renoncer aux simples jupes et manteaux portés par Homo sapiens depuis des milliers d’années pour un vêtement plus complexe à fabriquer ? une seule raison : le cheval ! C’est donc le recours tactique à la cavalerie, longtemps fer de lance de l’armée, qui a mis au premier rang les avantages du pantalon (notamment la conservation de la chaleur du corps) et en a étendu l’emploi. En français, ce pantalon de liberté tient son nom d’un personnage de la Commedia dell Arte, Pantalone, sobriquet donné aux Vénitiens adeptes des culottes longues et étroites. Au XXe s., un vent de liberté sur les modes vestimentaires a permis à des égéries comme Marlène Dietrich, Greta Garbo ou Katharine Hepburn de revendiquer le port de ce masculin pantalon avant que les sixties ne le revendiquent comme un vêtement unisexe et le symbole de nouvelles valeurs, notamment celle de la femme active. Quant à nous, nous espérons avoir suffisamment écumé le sujet pour que notre texte atteigne le bas de la page et évite, comme il se disait chez les imprimeurs…de « faire pantalon » !

 

Christelle Laizé et Philippe Guisard

 

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