Albums – Pline & Thermae Romae

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Des chroniques sur les bandes dessinées en lien avec l'Antiquité sous la plume de Julie Gallego, agrégée de grammaire et maître de conférences de latin à l’Université de Pau et des Pays de l’Adour.

Image : Couverture de Thermae Romae T1

Mari Yamazaki, Thermae Romae,
Casterman, 2012-2013,
6 tomes (série terminée, pas de titre pour les tomes)

Image : Couverture de Pline T7

Mari Yamazaki et Tori Miki, Pline,
Casterman, depuis 2017,
7 tomes parus (série en cours).

T. 1. L’Appel de Néron
T. 2. Les Rues de Rome
T. 3. Les Griffes de Poppée
T. 4. La Colère du Vésuve
T. 5. Sous les vents d’Éole
T. 6. Carthage la Grande
T. 7. L’Antre du dieu crocodile

La sortie en février 2019 du tome 7 de la série Pline, L’Antre du crocodile, nous fournit agréablement l’occasion de vous présenter ici deux mangas récents et assez différents, qui se déroulent dans l’antiquité romaine : Thermae Romae de Mari Yamazaki et Pline de Mari Yamazaki et Tori Miki, qui sont classés comme des seinen (une catégorie éditoriale de lecteurs qui désigne les jeunes adultes). La première a été prépubliée au Japon entre 2008 et 2013 et la seconde y est prépubliée depuis 2014. Ces deux séries, dès le titre, offrent une entrée immédiate dans l’antiquité romaine, légèrement différée toutefois pour qui ne connaitrait pas le nom de l’encyclopédiste Pline l’Ancien.

Thermae Romae a fait connaître en Europe Mari Yamazaki et a été un très grand succès dès sa sortie au Japon, bénéficiant même de deux adaptations, l’une en programme court d’animation et l’autre en long-métrage, tourné dans les décors de la série Rome (HBO, 2005-2007). L’auteure ne cache d’ailleurs nullement l’influence de cette série télévisée sur son manga puisqu’elle explique même, dans l’un des commentaires entre les chapitres, que si son héros s’appelle Lucius Modestus, c’est en hommage à Lucius Vorenus.

L’originalité de la série Thermae Romae, en dépit du tour un peu répétitif que prennent les voyages temporels du personnage principal au fil des volumes, consiste en un rapprochement entre la Rome antique (sous l’empereur Hadrien) et le Japon moderne, par le biais de l’attrait commun que ces deux civilisations ont pour les bains. Histoire et science-fiction se mêlent donc, produisant même une modification uchronique du passé par le futur, dans la mesure où Lucius adapte, dans son présent de Romain du iie s. apr. J.-C., quelques inventions japonaises pour les bains dont il a pu apprécier la pertinence. La série permet aussi une réflexion sur la langue que « parlent » les personnages dans la BD historique car nombreux sont les mots latins qui apparaissent au fil des planches mais surtout lorsque le héros est au Japon et n’est pas compris de ses interlocuteurs. Du moins jusqu’à ce qu’il rencontre Satsuki, une jeune Japonaise latiniste dont l’idéal masculin depuis l’enfance est Jules César et qui cherchera comment rejoindre définitivement, dans ce passé qui la fascine tant, le beau et mystérieux Lucius, dont elle est tombée amoureuse. Le latin qui apparaît dans la série est globalement exact, mais on constate quelques bévues étonnantes dans la version japonaise et/ou dans la version française : des erreurs de traduction (déjà dans la VO) ou des erreurs de transcription dans le lettrage français. Ainsi, par exemple, le début d’une bulle en Nunc animum dans la VO a-t-il été recopié Nun canimum dans la VF, ce qui n’a alors bien sûr plus aucun sens pour qui comprend le latin. De telles fautes sont heureusement minoritaires sur l’ensemble des 6 tomes.

Pline est en revanche une série essentiellement historique, même si certains personnages sont purement fictionnels, comme Euclès, le jeune secrétaire de Pline, ou Felix, son garde du corps. C’est une sorte de biographie illustrée du célèbre écrivain naturaliste Pline l’Ancien. Ce dernier est évidemment célèbre pour sa mort qui eut lieu lors de l’éruption du Vésuve en 79 apr. J.-C., comme l’a racontée à l’historien Tacite son neveu Pline le Jeune dans sa fameuse lettre VI, 16. Mais en se lançant en duo dans l’écriture et le dessin de ce manga, la Japonaise Mari Yamazaki, aussi passionnée par l’antiquité gréco-romaine que la jeune Satsuki de Thermae Romae, avait surtout pour projet de faire découvrir au grand public l’œuvre étonnante et fascinante qu’est l’Histoire naturelle, une œuvre dont l’ambition était de rendre compte de toutes les connaissances du monde, dans tous les domaines, au ier siècle de notre ère, et qui a exercé une influence majeure sur la pensée jusqu’à la fin du Moyen Âge. Dans ce manga, l’essentiel se déroule en flash-back sous Néron (54-68), presque vingt ans avant l’éruption de 79 sur laquelle s’ouvre seulement le premier chapitre, ce qui démontre bien que la mort de Pline l’Ancien n’est pas au cœur de la série (on peut supposer toutefois que la série y reviendra dans le dernier tome pour clôturer l’analepse et s’achever sur la mort de Pline l’Ancien). Beaucoup de chapitres ont lieu notamment à l’époque du tremblement de terre de 62, qui a durement affecté la région de Pompéi. Le plus marquant à la lecture de cette série, c’est que l’on trouve l’intégration narrative et graphique de nombreux passages de l’œuvre de Pline l’Ancien, par exemple ses réflexions sur l’Homme, sur les éléphants, sur les abeilles, sur l’origine des tremblements de terre ou encore sur les différentes sortes d’éruptions volcaniques (qui sont intégrées avec exactitude à la narration et mises différemment en image selon les « rencontres » successives entre Pline et les divers volcans du pourtour méditerranéen). Au fil des tomes, on suit cet homme (que caractérise une insatiable curiosité) dans une enquête digne de Sherlock Holmes, pour trouver des preuves de la nature volcanique de cette montagne a priori inoffensive qu’est le Vésuve. Et ce qui est très intéressant, c’est aussi que le manga se veut la transposition de la vision du monde de Pline, qui intègre ponctuellement dans son œuvre (et pas toujours avec une mise à distance, loin de là) les récits un peu farfelus qu’il a recueillis concernant la pharmacopée végétale, animale ou minérale (comme l’application d’hippocampes qui permettrait de guérir la calvitie, une recette qui est mentionnée dans Histoire naturelle, XXXII, 23, 1), ou encore la présence à tel ou tel endroit de créatures mythologiques : l’homme marin, le phœnix, le basilic, la manticore, les himantopodes, le lièvre marin, les blemmyies (bien visibles sur la couverture du t. 5), et bien d’autres encore. Certaines cases nous sont donc données à voir comme une transposition de l’imaginaire de Pline, qui contamine parfois d’autres personnages, comme lorsque le jeune Grec Euclès pénètre pour la première fois dans la demeure du savant et que la traversée d’un couloir devient celle de la pensée de l’encyclopédiste-conteur, tant les monstres mythologiques envahissent les cases en vision subjective. Puisque la série se déroule exclusivement dans la Rome antique, la langue latine n’est pas utilisée par Mari Yamazaki de la même manière que dans Thermae Romae : elle est surtout présente pour formuler de manière presque systématique les titres des sept chapitres de chaque tome (pour les noms des lieux ou des personnages) ; pour ne donner que l’exemple du t. 1, on trouve ainsi le chapitrage suivant : Vesuvius, Magna Græcia, Nero, Catia, Roma, Puteoli, Palatinus. Elle apparaît aussi ponctuellement pour quelques expressions courantes de la conversation (salue, saluus sis), pour désigner des realia (comme le panis quadratus) ou pour reprendre quelques graffitis trouvés à Pompéi (tel un menu de restaurant, proposant pullum, piscem ou autre paonem). Ce sont même parfois des passages en latin d’une certaine longueur de l’Histoire naturelle que l’on reconnaît sur une tablette de cire sous le stylet d’Euclès (comme dans sa prise de notes sur le miel dans le chap. 3 du t. 1, emprunté à Histoire naturelle, XI, 11-12). Le tome 7, paru récemment, se déroule en 64 et alterne les séquences se déroulant, pour une moitié, dans le désert africain (puisque Pline, Euclès, Felix et le petit garçon qu’ils ont recueilli, après avoir quitté Carthage pour rejoindre Alexandrie, découvrent une pyramide où sont dissimulés des momies de crocodiles en hommage au dieu Sobek), et, pour l’autre, à Rome lors du grand incendie dont l’empereur puis les chrétiens sont accusés, un événement tragique suivi de la découverte de la conjuration de Pison contre Néron, conduisant Sénèque à se suicider.

Dans cette série, vous apprendrez, grâce au personnage de Pline, l’utilisation compliquée du pourpre pour produire une couleur rare et précieuse (Histoire naturelle, IX, 60, 1-3), ou encore comment l’empereur Claude captura un jour une orque dans le port d’Ostie, cinq planches qui attiseront peut-être votre curiosité pour en lire le récit originel dans Histoire naturelle, IX, 5, 3.

On appréciera que la traduction française des passages de Pline ne soit pas faite à partir du japonais traduit du latin (qui aurait peut-être même eu l’anglais comme intermédiaire), mais directement empruntées à la traduction d’Émile Littré, tombée dans le domaine public, et clairement indiquée en début de chaque tome. À cet égard, on signalera le grand intérêt qu’offre, pour qui veut travailler sur les liens entre cette série BD et l’œuvre de Pline, l’outil précieux que constitue la très belle édition (en deux volumes bilingues en papier bible sous coffret) de cette traduction parue aux Belles Lettres en 2016 car les quatre index permettent de retrouver plus facilement les sources de Mari Yamazaki.

Signalons pour terminer que la dernière série de Mari Yamazaki, qui a commencé en 2018 au Japon mais n’est pas encore parue en France, se nomme Olympic Circles, pour la traduction anglaise du titre japonais, et même « ΟΛΥΜΠΙΩΝ ΚΥΚΛΟI » (en plus petit mais avec l’alphabet grec sur la couverture en VO). Elle s’intéresse donc aux Jeux olympiques et établit cette fois un lien entre la Grèce classique et le Japon des années soixante durant les jeux d’été, selon le même principe de voyages temporels d’un héros (ici le Grec Demetrios) et de confrontation des civilisations antique (romaine/grecque) et moderne (japonaise) que dans Thermae Romae, la porte spatio-temporelle n’étant cette fois pas l’eau mais un vase.

Image : Couverture de Olympia Kyklos T1

Julie Gallego

 

 

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