
L’été est là, et avec lui la possibilité du départ, du chemin à suivre, de l’horizon à rejoindre. Pour accompagner la saison, La Vie des Classiques vous propose une série de textes antiques autour du voyage, réel ou imaginaire, terrestre ou spirituel, tantôt éprouvant, tantôt initiatique. Des errances d’Io aux haltes d’Horace, de la quête du Nil racontée par Hérodote aux traversées d’Apollonios de Rhodes, en passant par les lettres de Jérôme et de Sidoine Apollinaire, ces extraits choisis vous feront parcourir le monde antique au rythme de celles et ceux qui l’ont foulé, rêvé ou fui. Chaque semaine, un ou deux auteur(s), des textes, cinq étapes. Bonnes pérégrinations !
Transformée par Zeus en génisse pour échapper à la colère d’Héra, Io erre aux quatre coins du monde, tourmentée par un taon envoyé par la déesse. Dans le passage tiré du Prométhée enchaîné d’Eschyle (525-456 av. n. è.) que nous vous proposons de lire cette semaine, elle rencontre le Titan supplicié capable de lire l’avenir. Il lui révèle les étapes – et les dangers – de son vaste voyage.
Prométhée affirme que Zeus sera renversé, et que la clé de sa propre délivrance viendra d’un descendant d’Io : leurs destins sont désormais liés.
<ΠΡ. –> νῦν δ᾽ οὐδέν ἐστι τέρμα μοι προκείμενον
μόχθων, πρὶν ἂν Ζεὺς ἐκπέσῃ τυραννίδος.
ΙΩ. – Ἦ γάρ ποτ᾽ ἔστιν ἐκπεσεῖν ἀρχῆς Δία ;
ΠΡ. – Ἥδοι᾽ ἄν, οἶμαι, τήνδ᾽ ἰδοῦσα συμφοράν.
ΙΩ. – Πῶς δ᾽ οὐκ ἄν, ἥτις ἐκ Διὸς πάσχω κακῶς ;
ΠΡ. – Ὡς τοίνυν ὄντων τῶνδέ σοι μαθεῖν πάρα.
ΙΩ. – Πρὸς τοῦ τύραννα σκῆπτρα συληθήσεται ;
ΠΡ. – Πρὸς αὐτὸς αὑτοῦ κενοφρόνων βουλευμάτων.
ΙΩ. – Ποίῳ τρόπῳ ; σήμηνον, εἰ μή τις βλάϐη.
ΠΡ. – Γαμεῖ γάμον τοιοῦτον ᾧ ποτ᾽ ἀσχαλᾷ.
ΙΩ. – Θέορτον, ἢ βρότειον ; εἰ ῥητόν, φράσον.
ΠΡ. – Τί δ᾽ ὅντιν᾽· Οὐ γὰρ ῥητὸν αὐδᾶσθαι τόδε.
ΙΩ. – Ἦ πρὸς δάμαρτος ἐξανίσταται θρόνων ;
ΠΡ. – Ἣ τέξεταί γε παῖδα φέρτερον πατρός.
ΙΩ. – Οὐδ᾽ ἔστιν αὐτῷ τῆσδ᾽ ἀποστροφὴ τύχης ;
ΠΡ. – Οὐ δῆτα, πλὴν ἔγωγ᾽ ἂν ἐκ δεσμῶν λυθείς.
ΙΩ. – Τίς οὖν ὁ λύσων ἐστὶν ἄκοντος Διός ;
ΠΡ. – Τῶν σῶν τιν᾽ αὐτὸν ἐγγόνων εἶναι χρεών.
ΙΩ. – Πῶς εἶπας ; ἦ ᾽μὸς παῖς σ᾽ ἀπαλλάξει κακῶν ;
ΠΡ. – Τρίτος γε γένναν πρὸς δέκ᾽ ἄλλαισιν γοναῖς.
ΙΩ. – Ἥδ᾽ οὐκέτ᾽ εὐξύμϐλητος ἡ χρησμῳδία.
ΠΡ. – Καὶ μηδὲ σαυτῆς ἐκμαθεῖν ζήτει πόνους.
ΙΩ. – Μή μοι προτείνων κέρδος εἶτ᾽ ἀποστέρει.
ΠΡ. – Δυοῖν λόγοιν σε θατέρῳ δωρήσομαι.
ΙΩ. – Ποίοιν ; πρόδειξον, αἵρεσίν τ᾽ ἐμοὶ δίδου.
<PROMÉTHÉE. –> Mais nul terme ne s’en offre à moi, avant que Zeus ne tombe de sa toute-puissance.
IO. – Est-il possible que Zeus tombe un jour du pouvoir ?
PROMÉTHÉE. – Ta joie serait grande, je pense, à voir telle aventure.
IO. – Certes, quand c’est par Zeus que je souffre de telles misères.
PROMÉTHÉE. – Eh bien ! tu peux l’apprendre : c’est ce qui sera.
IO. – Et qui lui ravira le spectre tout-puissant ?
PROMÉTHÉE. – Lui-même et ses vains caprices.
IO. – Comment ? dis-le-moi, s’il se peut sans inconvénient.
PROMÉTHÉE. – Il contractera un hymen dont il se repentira un jour.
IO. – Hymen divin ou mortel ? Si la chose peut se dire, réponds.
PROMÉTHÉE. – Qu’importe quel il soit ! il n’est point permis de le dire.
IO. – Est-ce son épouse qui le chassera de son trône ?
PROMÉTHÉE. – En lui enfantant un fils plus fort que son père.
IO. – N’a-t-il pas un moyen de détourner le sort ?
PROMÉTHÉE. – Aucun, sauf Prométhée délié de ses chaînes.
IO. – Qui serait donc capable de te délier en dépit de Zeus ?
PROMÉTHÉE. – Un de tes descendants doit l’être.
IO. – Que dis-tu ? Un fils sorti de moi t’affranchirait de tes maux ?
PROMÉTHÉE. – Oui, trois générations après les dix premières.
IO. – Cet oracle-là n’est plus aisé à comprendre.
PROMÉTHÉE. – Ne cherche pas davantage à connaître à fond tes propres misères.
IO. – Ne me montre pas un profit, pour m’en frustrer ensuite.
PROMÉTHÉE. – De deux présents je te donnerai l’un ou l’autre.
IO. – Quels présents ? mets-les sous mes yeux et offre-moi le choix.
Eschyle, Prométhée enchaîné, v. 755-779,
texte établi et traduit par Paul Mazon,
« C.U.F. – série grecque », Les Belles Lettres, 1920 (2022)