En voyage avec Eschyle (Jour 2)

8 juillet 2025
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Image : En voyage avec Eschyle
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L’été est là, et avec lui la possibilité du départ, du chemin à suivre, de l’horizon à rejoindre. Pour accompagner la saison, La Vie des Classiques vous propose une série de textes antiques autour du voyage, réel ou imaginaire, terrestre ou spirituel, tantôt éprouvant, tantôt initiatique. Des errances d’Io aux haltes d’Horace, de la quête du Nil racontée par Hérodote aux traversées d’Apollonios de Rhodes, en passant par les lettres de Jérôme et de Sidoine Apollinaire, ces extraits choisis vous feront parcourir le monde antique au rythme de celles et ceux qui l’ont foulé, rêvé ou fui. Chaque semaine, un ou deux auteur(s), des textes, cinq étapes. Bonnes pérégrinations !

Transformée par Zeus en génisse pour échapper à la colère d’Héra, Io erre aux quatre coins du monde, tourmentée par un taon envoyé par la déesse. Dans le passage tiré du Prométhée enchaîné d’Eschyle (525-456 av. n. è.) que nous vous proposons de lire cette semaine, elle rencontre le Titan supplicié capable de lire l’avenir. Il lui révèle les étapes – et les dangers – de son vaste voyage.

 

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Les errances d’Io ne sont pas vaines mais la conduiront jusqu’en Asie. Prométhée suspend un instant son récit pour accabler le véritable responsable de cette situation.

<ΠΡ. –> ἔνθ᾽, Ἀμαζόνων στρατὸν
ἥξεις στυγάνορ᾽, αἳ Θεμίσκυράν ποτε
κατοικιοῦσιν ἀμφὶ Θερμώδονθ᾽, ἵνα
τραχεῖα πόντου Σαλμυδησσία γνάθος
ἐχθρόξενος ναύταισι, μητρυιὰ νεῶν·
αὗταί σ᾽ ὁδηγήσουσι καὶ μάλ᾽ ἀσμένως.
Ἰσθμὸν δ᾽ ἐπ᾽ αὐταῖς στενοπόροις λίμνης πύλαις
Κιμμερικὸν ἥξεις, ὃν θρασυσπλάγχνως σε χρὴ
λιποῦσαν αὐλῶν᾽ ἐκπερᾶν Μαιωτικόν·
ἔσται δὲ θνητοῖς εἰσαεὶ λόγος μέγας
τῆς σῆς πορείας, Βόσπορος δ᾽ ἐπώνυμος
κεκλήσεται. Λιποῦσα δ᾽ Εὐρώπης πέδον
ἤπειρον ἥξεις Ἀσιάδ᾽·. Ἆρ᾽, ὑμῖν δοκεῖ
ὁ τῶν θεῶν τύραννος ἐς τὰ πάνθ᾽ ὁμῶς
βίαιος εἶναι ; τῇδε γὰρ θνητῇ θεὸς
χρῄζων μιγῆναι τάσδ᾽ ἐπέρριψεν πλάνας.
Πικροῦ δ᾽ ἔκυρσας, ὦ κόρη, τῶν σῶν γάμων
μνηστῆρος. Οὓς γὰρ νῦν ἀκήκοας λόγους,
εἶναι δόκει σοι μηδέπω ᾽ν προοιμίοις.

ΙΩ. – Ἰώ μοί μοι, ἒ ἔ.

ΠΡ. – Σὺ δ᾽ αὖ κέκραγας κἀναμυχθίζῃ ; τί που
δράσεις, ὅταν τὰ λοιπὰ πυνθάνῃ κακά ;

ΧΟ. – Ἦ γάρ τι λοιπὸν τῇδε πημάτων ἐρεῖς ;

ΠΡ. – Δυσχείμερόν γε πέλαγος ἀτηρᾶς δύης.

ΙΩ. – Τί δῆτ᾽ ἐμοὶ ζῆν κέρδος, ἀλλ᾽ οὐκ ἐν τάχει
ἔρριψ᾽ ἐμαυτὴν τῆσδ᾽ ἀπὸ στύφλου πέτρας,
ὅπως πέδοι σκήψασα τῶν πάντων πόνων
ἀπηλλάγην ; κρεῖσσον γὰρ εἰσάπαξ θανεῖν
ἢ τὰς ἁπάσας ἡμέρας πάσχειν κακῶς.

ΠΡ. –  Ἦ δυσπετῶς ἂν τοὺς ἐμοὺς ἄθλους φέροις,
ὅτῳ θανεῖν μέν ἐστιν οὐ πεπρωμένον·
αὕτη γὰρ ἦν ἂν πημάτων ἀπαλλαγή·

<PROMÉTHÉE. –> Là, tu trouveras l’armée des Amazones rebelles à l’homme, qui iront un jour fonder Thémiskyre, sur le Thermodon, aux bords où Salmydesse ouvre sur la mer sa rude mâchoire, hôtesse cruelle aux marins, marâtre des vaisseaux. Celles-là te guideront, et de grand cœur. Ainsi tu atteindras, aux portes étroites de son lac, l’isthme cimmérien : d’un cœur intrépide, tu dois, pour le quitter, franchir le détroit méotique ; et, parmi les mortels, à jamais vivra le glorieux récit de ton passage : le détroit te devra le nom de Bosphore. Et, dès lors, laissant le sol d’Europe, tu prendras pied sur le continent d’Asie. – Eh bien ! le souverain des dieux ne vous semble-t-il pas montrer partout une violence égale ? Il a, lui, dieu, sur cette mortelle dont il désirait le lit, fait tomber ce destin vagabond. Ah ! tu as rencontré là, jeune fille, un cruel prétendant ; car ce que tu viens d’entendre, songes-y, n’est pas même encore un prélude.

IO. – Hélas ! pitié ! pitié !

PROMÉTHÉE. – De nouveau, tu cries, tu meugles : que feras-tu, lorsque tu apprendras le reste de tes maux ?

LE CORYPHÉE. – Te reste-t-il encore d’autres peines à lui annoncer ?

PROMÉTHÉE. – Dis mieux : une orageuse mer de fatale détresse.

IO. – Quel profit ai-je alors à vivre ? Pourquoi tardé-je à me précipiter de cet âpre rocher ? En m’abattant à terre, je m’affranchis de toutes mes douleurs. Mieux vaut mourir d’un coup que souffrir misérablement chaque jour.

PROMÉTHÉE. – Tu aurais donc grand-peine à porter mes épreuves : à moi, le destin ne permet pas la mort. Seule, elle m’affranchirait de mes maux.

 

Eschyle, Prométhée enchaîné, v. 723-754,
texte établi et traduit par Paul Mazon,
« C.U.F. – série grecque », Les Belles Lettres, 1920 (2022)

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