En voyage avec Eschyle (Jour 1)

7 juillet 2025
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Image : En voyage avec Eschyle
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L’été est là, et avec lui la possibilité du départ, du chemin à suivre, de l’horizon à rejoindre. Pour accompagner la saison, La Vie des Classiques vous propose une série de textes antiques autour du voyage, réel ou imaginaire, terrestre ou spirituel, tantôt éprouvant, tantôt initiatique. Des errances d’Io aux haltes d’Horace, de la quête du Nil racontée par Hérodote aux traversées d’Apollonios de Rhodes, en passant par les lettres de Jérôme et de Sidoine Apollinaire, ces extraits choisis vous feront parcourir le monde antique au rythme de celles et ceux qui l’ont foulé, rêvé ou fui. Chaque semaine, un ou deux auteur(s), des textes, cinq étapes. Bonnes pérégrinations !

Transformée par Zeus en génisse pour échapper à la colère d’Héra, Io erre aux quatre coins du monde, tourmentée par un taon envoyé par la déesse. Dans le passage tiré du Prométhée enchaîné d’Eschyle (525-456 av. n. è.) que nous vous proposons de lire cette semaine, elle rencontre le Titan supplicié capable de lire l’avenir. Il lui révèle les étapes – et les dangers – de son vaste voyage.

 

Io vient d’arriver auprès de Prométhée, enchaîné sur le Caucase. Le Titan, qui connaît l’avenir, commence à lui décrire la suite de sa fuite : des territoires hostiles, des peuples farouches, des dangers multiples.

ΠΡ. – Πρῴ γε στενάζεις καὶ φόϐου πλέα τις εἶ·
ἐπίσχες ἔστ᾽ ἂν καὶ τὰ λοιπὰ προσμάθῃς.

ΧΟ. – Λέγ᾽, ἐκδίδασκε· τοῖς νοσοῦσί τοι γλυκὺ
τὸ λοιπὸν ἄλγος προυξεπίστασθαι τορῶς.

ΠΡ. – Τὴν πρίν γε χρείαν ἠνύσασθ᾽ ἐμοῦ πάρα
κούφως· μαθεῖν γὰρ τῆσδε πρῶτ᾽ ἐχρῄζετε
τὸν ἀμφ᾽ ἑαυτῆς ἆθλον ἐξηγουμένης·
τὰ λοιπὰ νῦν ἀκούσαθ᾽, οἷα χρὴ πάθη
τλῆναι πρὸς Ἥρας τήνδε τὴν νεάνιδα.
Σύ τ᾽ Ἰνάχειον σπέρμα, τοὺς ἐμοὺς λόγους
θυμῷ βάλ᾽, ὡς ἂν τέρματ᾽ ἐκμάθῃς ὁδοῦ.
Πρῶτον μὲν ἐνθένδ᾽ ἡλίου πρὸς ἀντολὰς
στρέψασα σαυτὴν στεῖχ᾽ ἀνηρότους γύας·
Σκύθας δ᾽ ἀφίξῃ νομάδας, οἳ πλεκτὰς στέγας
πεδάρσιοι ναίουσ᾽ ἐπ᾽ εὐκύκλοις ὄχοις
ἑκηϐόλοις τόξοισιν ἐξηρτυμένοι·
οἷς μὴ πελάζειν, ἀλλ᾽ ἁλιστόνοις πόδας
χρίμπτουσα ῥαχίαισιν ἐκπερᾶν χθόνα.
Λαιᾶς δὲ χειρὸς οἱ σιδηροτέκτονες
οἰκοῦσι Χάλυϐες, οὓς φυλάξασθαί σε χρή.
Ἀνήμεροι γὰρ οὐδὲ πρόσπλατοι ξένοις.
Ἥξεις δ᾽ Ὑϐριστὴν ποταμὸν οὐ ψευδώνυμον,
ὃν μὴ περάσῃς, οὐ γὰρ εὔϐατος περᾶν,
πρὶν ἂν πρὸς αὐτὸν Καύκασον μόλῃς, ὀρῶν
ὕψιστον, ἔνθα ποταμὸς ἐκφυσᾷ μένος
κροτάφων ἀπ᾽ αὐτῶν. Ἀστρογείτονας δὲ χρὴ
κορυφὰς ὑπερϐάλλουσαν ἐς μεσημϐρινὴν
βῆναι κέλευθον,

PROMÉTHÉE. – Tu te hâtes trop de gémir et de te laisser envahir par l’effroi. Attends d’avoir appris encore le reste de ses maux.

LE CORYPHÉE. – Parle, achève de l’instruire : il est doux au malade de savoir nettement d’avance ce qui lui reste à souffrir.

PROMÉTHÉE. – Ce que vous requériez d’abord, vous l’avez obtenu de moi sans peine ; vous désiriez avant tout l’entendre conter ses épreuves elle-même : écoutez maintenant le reste, et quelles souffrances devra, par ordre d’Héra, endurer cette jeune mortelle. Et toi, sang d’Inachos, fixe bien mes mots dans ton âme, si tu veux connaître le terme de ta route. En partant d’ici, tourne-toi d’abord vers le soleil levant et va par les plaines sans labour, jusqu’au moment où tu atteindras les Scythes nomades, qui habitent des demeures d’osier tressé juchées sur des chars à bonnes roues et suspendent à leurs épaules l’arc à longue portée. Évite-les et rapproche tes pas des falaises où gémit la mer, pour traverser tout ce pays. À main gauche sont les Chalybes qui travaillent le fer : tu dois t’en garer. Ce sont des êtres féroces, inabordables pour l’étranger. Tu arriveras de la sorte à un fleuve dont le nom ne ment pas, l’Hybristès ; ne le franchis pas – il n’est point aisé à franchir ! – mais marche droit au Caucase, le plus haut des monts : c’est de son front que ce fleuve exhale la fureur de ses eaux. Tu en franchiras les sommets voisins des astres pour prendre la route du Midi.

 

Eschyle, Prométhée enchaîné, v. 696-723,
texte établi et traduit par Paul Mazon,
« C.U.F. – série grecque », Les Belles Lettres, 1920 (2022)

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