En voyage avec Eschyle (Jour 4)

10 juillet 2025
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Image : En voyage avec Eschyle
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L’été est là, et avec lui la possibilité du départ, du chemin à suivre, de l’horizon à rejoindre. Pour accompagner la saison, La Vie des Classiques vous propose une série de textes antiques autour du voyage, réel ou imaginaire, terrestre ou spirituel, tantôt éprouvant, tantôt initiatique. Des errances d’Io aux haltes d’Horace, de la quête du Nil racontée par Hérodote aux traversées d’Apollonios de Rhodes, en passant par les lettres de Jérôme et de Sidoine Apollinaire, ces extraits choisis vous feront parcourir le monde antique au rythme de celles et ceux qui l’ont foulé, rêvé ou fui. Chaque semaine, un ou deux auteur(s), des textes, cinq étapes. Bonnes pérégrinations !

Transformée par Zeus en génisse pour échapper à la colère d’Héra, Io erre aux quatre coins du monde, tourmentée par un taon envoyé par la déesse. Dans le passage tiré du Prométhée enchaîné d’Eschyle (525-456 av. n. è.) que nous vous proposons de lire cette semaine, elle rencontre le Titan supplicié capable de lire l’avenir. Il lui révèle les étapes – et les dangers – de son vaste voyage.

 

Passage précédent

Io repart. Prométhée détaille les créatures et les peuples fabuleux qu’elle croisera encore, jusqu’à l’Égypte, où doit s’achever son errance. C’est là qu’une nouvelle lignée verra le jour.

ΠΡ. –  Δίδωμ᾽· ἑλοῦ γάρ, ἢ πόνων τὰ λοιπά σοι
φράσω σαφηνῶς, ἢ τὸν ἐκλύσοντ᾽ ἐμέ.

ΧΟ. – Τούτων σὺ τὴν μὲν τῇδε, τὴν δ᾽ ἐμοὶ χάριν
θέσθαι θέλησον, μηδ᾽ ἀτιμάσῃς λόγου·
καὶ τῇδε μὲν γέγωνε τὴν λοιπὴν πλάνην,
ἐμοὶ δὲ τὸν λύσοντα· τοῦτο γὰρ ποθῶ.

ΠΡ. –  Ἐπεὶ προθυμεῖσθ᾽, οὐκ ἐναντιώσομαι
τὸ μὴ οὐ γεγωνεῖν πᾶν ὅσον προσχρῄζετε.
Σοὶ πρῶτον, Ἰοῖ, πολύδονον πλάνην φράσω,
ἣν ἐγγράφου σὺ μνήμοσιν δέλτοις φρενῶν.
Ὅταν περάσῃς ῥεῖθρον ἠπείροιν ὅρον,
πρὸς ἀντολὰς φλογῶπας ἡλιοστιϐεῖς
πόντου περῶσα φλοῖσϐον, ἔστ᾽ ἂν ἐξίκῃ
πρὸς Γοργόνεια πεδία Κισθήνης, ἵνα
αἱ Φορκίδες ναίουσι δηναιαὶ κόραι
τρεῖς κυκνόμορφοι, κοινὸν ὄμμ᾽ ἐκτημέναι,
μονόδοντες, ἃς οὔθ᾽ ἥλιος προσδέρκεται
ἀκτῖσιν οὔθ᾽ ἡ νύκτερος μήνη ποτέ.
Πέλας δ᾽ ἀδελφαὶ τῶνδε τρεῖς κατάπτεροι,
δρακοντόμαλλοι Γοργόνες βροτοστυγεῖς,
ἃς θνητὸς οὐδεὶς εἰσιδὼν ἕξει πνοάς.
Τοιοῦτο μέν σοι τοῦτο φρούριον λέγω·
ἄλλην δ᾽ ἄκουσον δυσχερῆ θεωρίαν·
ὀξυστόμους γὰρ Ζηνὸς ἀκραγεῖς κύνας
γρῦπας φύλαξαι, τόν τε μουνῶπα στρατὸν
Ἀριμασπὸν ἱπποϐάμον᾽, οἳ χρυσόρρυτον
οἰκοῦσιν ἀμφὶ νᾶμα Πλούτωνος πόρου·
τούτοις σὺ μὴ πέλαζε. Τηλουρὸν δὲ γῆν
ἥξεις, κελαινὸν φῦλον, οἳ πρὸς ἡλίου
ναίουσι πηγαῖς, ἔνθα ποταμὸς Αἰθίοψ.
Τούτου παρ᾽ ὄχθας ἕρφ᾽, ἕως ἂν ἐξίκῃ
καταϐασμόν, ἔνθα Βιϐλίνων ὀρῶν ἄπο
ἵησι σεπτὸν Νεῖλος εὔποτον ῥέος.
Οὗτός σ᾽ ὁδώσει τὴν τρίγωνον ἐς χθόνα
Νειλῶτιν, οὗ δὴ τὴν μακρὰν ἀποικίαν,
Ἰοῖ, πέπρωται σοί τε καὶ τέκνοις κτίσαι.
Τῶν δ᾽ εἴ τί σοι ψελλόν τε καὶ δυσεύρετον,
ἐπανδίπλαζε καὶ σαφῶς ἐκμάνθανε·
σχολὴ δὲ πλείων ἢ θέλω πάρεστί μοι.

PROMÉTHÉE. – Je te l’offre, choisis : dois-je t’apprendre exactement le reste de tes maux ou qui sera mon libérateur ?

LE CORYPHÉE. – De ces grâces, veuille donc lui accorder l’une, l’autre sera pour moi : ne dédaigne pas nos vœux. À Io révèle la suite de ses erreurs ; à moi, qui sera ton libérateur ; car c’est là mon envie.

PROMÉTHÉE. – Si tel est votre ardent désir, je ne me refuserai pas à vous révéler tout ce que vous demandez. À toi d’abord, Io, je dirai les erreurs de ta course tourbillonnante : inscris-les aux tablettes fidèles de ta mémoire. Quand tu auras franchi le courant qui sert de limite aux continents, marche vers le Levant, où flamboient les pas du Soleil [et garde-toi de t’exposer encore aux ondes perfides] en traversant le fracas de la mer, jusqu’au moment où tu atteindras les champs gorgonéens de Kisthène, séjour des Phorkides, trois vierges antiques, au corps de cygne, qui n’ont qu’un même œil, une seule dent, et qui jamais n’obtiennent un regard ni du soleil rayonnant ni du croissant des nuits. Près d’elles sont trois sœurs ailées à toison de serpents, les Gorgones, horreur des mortels, que nul humain ne saurait regarder sans expirer aussitôt. Tel est l’avertissement que d’abord je te donne. 
Mais apprends à connaître le péril d’un autre spectacle : garde-toi des chiens de Zeus, au bec aigu, qui n’aboient point, des Griffons ; et aussi de l’armée montée des Arimaspes à l’œil unique, qui habitent sur les bords du fleuve Pluton, qui charrie l’or. D’aucun de ceux-là n’approche ; et tu arriveras alors en un pays éloigné, celui d’un peuple noir, établi près des eaux du Soleil, au pays du fleuve Aithiops. Suis-en la berge jusqu’à l’heure où tu atteindras la « Descente », le point où, du haut des monts de Biblos, le Nil déverse ses eaux saintes et salutaires. C’est lui qui te conduira au pays en triangle où le Destin a réservé à Io et à sa descendance la fondation de sa lointaine colonie. – Si quelque point te reste trouble, embarrassant, reprends-le, instruis-toi avec précision. J’ai du loisir ici, plus que je n’en souhaite.

 

Eschyle, Prométhée enchaîné, v. 780-818,
texte établi et traduit par Paul Mazon,
« C.U.F. – série grecque », Les Belles Lettres, 1920 (2022)