Da Capo - Jephtha pris au mot

Texte :

L’opéra est encore jeune, mais de Monteverdi à Wagner, il a créé son Antiquité. En chantant le mythe et la tragédie, l’art lyrique s’invente et rêve les Anciens.

            En prenant la tête de l'armée d'Israël, Jephté promet à Dieu de lui sacrifier la première créature qu'il rencontrera s'il remporte la victoire. Mais c'est sa fille qui accoure la première à son retour. Il doit se résigner au sacrifice, mais ne sait plus s'il faut tenir une promesse imprudente et contraire à la Loi divine, ou la tenir justement vis-à-vis d'elle...

            Faisant défiler parmi les chanteurs les mots « IT must Be SO », la mise en scène insiste sans nuances sur le fatum divin, gommant derrière l'opacité de la Lettre le véritable enjeu théologico-politique de cette tragédie chrétienne, écrite au départ par le grand humaniste et poète néo-latin George Buchanan. Dans le contexte de la Réforme, celui-ci suggérait que l'alliance du peuple avec Dieu est la véritable Loi, qui peut primer sur les errements éventuels de ses propres dirigeants.

            L'enjeu du sacrifice n'est donc pas seulement la pesanteur du destin, comme dans toutes les tragédies, c'est la responsabilité d'un chef politique vis-à-vis de sa propre parole et des conditions de la grâce divine qu'il est prêt à recevoir pour son peuple. Pour dire ces déchirements, Hændel déploie une richesse d'orchestration extraordinaire, donnant toute sa place à la voix collective du chœur qui, elle, tient parole.

J.T.

G.F. Hændel, Jephtha (1752), mise en scène de Claus Guth, crée le 15.1.2018 à l'Opéra Garnier, avec le chœur et l'orchestre des Arts Florissants, dirigé par William Christie, avec Ian Bostridge (Jephtha), Marie-Nicole Lemieux (Storgè) et Katherine Watson (Iphis).

L'opéra est disponible en réécoute sur le site de France Musique à cette adresse.

Sur l'importance de George Buchanan, notamment professeur de Montaigne, qui a joué enfant certaines de ses tragédies latines, on pourra se référer à une traduction critique de son autobiographie.

Pour l'histoire de Jephté, voir Livre des Juges, 11, 24-40, dans La Bible (Torah, Nevihim, et Ketouvim), édition de Gilbert Werndorfer, traduit par Samuel Cahen, Belles Lettres, 1994.

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