Chroniques- anachroniques Le langage secret des arbres

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Les récents incendies, involontaires et volontaires, en Australie et Amazonie, ravivent notre conscience que les arbres sont notre bien commun, vieux camarades indispensables à la survie de notre éco système. En outre, de modèles de sagesse et de sérénité qu’ils étaient déjà, axes verticaux dressés vers le monde d’en haut, depuis quelques années, ils se voient créditer d’une certaine sensibilité, d’une intelligence collaborative.

Les mondes anciens ont développé une mythologie et une symbolique des arbres majeurs du pourtour méditerranéen. Ainsi, le polygraphe Plutarque (46-125 apr. notre ère) nous rapporte une anecdote significative sur la valeur des végétaux et son origine : à la suite de son habile stratégie, Coriolan s’empare de la cité volsque de Corioles (d’où son nom) et reçoit, à sa demande, pour prix de son succès, une couronne de chêne et un cheval.

Ἐστρατεύσατο δὲ πρώτην στρατείαν ἔτι μειράκιον ὤνὅτε Ταρκυνίῳ τῷ βασιλεύσαντι τῆς Ῥώμηςεἶτ´ἐκπεσόντι μετὰ πολλὰς μάχας καὶ ἥττας ὥσπερ ἔσχατον κύβον ἀφιέντι πλεῖστοι μὲν Λατίνωνπολλοὶ δὲκαὶ τῶν ἄλλων Ἰταλιωτῶν συνεστράτευον καὶ συγκατῆγον ἐπὶ τὴν Ῥώμηνοὐκ ἐκείνῳ χαριζόμενοιμᾶλλον  φόβῳ τὰ Ῥωμαίων αὐξανόμενα καὶ φθόνῳ καταβάλλοντεςἐν ταύτῃ τῇ μάχῃ πολλὰς τροπὰςἐπ´ ἀμφότερα λαμβανούσῃ Μάρκιος ἀγωνιζόμενος εὐρώστωςἐν ὄψει τοῦ δικτάτορος ἄνδραῬωμαῖον πεσόντα πλησίον ἰδώνοὐκ ἠμέλησενἀλλ´ ἔστη πρὸ αὐτοῦ καὶ τὸν ἐπιφερόμενον τῶνπολεμίων ἀμυνόμενος ἀπέκτεινενὡς οὖν ἐκράτησεν  στρατηγόςἐν πρώτοις ἐκεῖνον ἐστεφάνωσεδρυὸς στεφάνῳτοῦτον γὰρ  νόμος τῷ πολίτην ὑπερασπίσαντι τὸν στέφανον ἀποδέδωκενεἴτε δὴμάλιστα τιμήσας δι´ Ἀρκάδας τὴν δρῦνβαλανηφάγους ὑπὸ τοῦ θεοῦ χρησμῷ προσαγορευθένταςεἴθ´ὡς ταχὺ καὶ πανταχοῦ δρυὸς οὖσαν εὐπορίαν στρατευομένοιςεἴτε Διὸς Πολιέως ἱερὸν ὄντα τὸν τῆςδρυὸς στέφανον οἰόμενος ἐπὶ σωτηρίᾳ πολίτου δίδοσθαι πρεπόντως.  ἔστι δ´  δρῦς τῶν μὲν ἀγρίωνκαλλικαρπότατοντῶν δὲ τιθασῶν ἰσχυρότατονἦν δὲ καὶ σιτίον ἀπ´ αὐτῆς  βάλανος καὶ ποτὸν τὸμελίτειονὄψον δὲ παρεῖχε τὰ πλεῖστα τῶν νεμομένων τε καὶ πτηνῶνθήρας ὄργανον φέρουσα τὸνἰξόνἐν ἐκείνῃ δὲ τῇ μάχῃ καὶ τοὺς Διοσκόρους ἐπιφανῆναι λέγουσικαὶ μετὰ τὴν μάχην εὐθὺςὀφθῆναι ῥεομένοις ἱδρῶτι τοῖς ἵπποις ἐν ἀγορᾷ τὴν νίκην ἀπαγγέλλονταςοὗ νῦν  παρὰ τὴν κρήνηννεώς ἐστιν αὐτοῖς ἱδρυμένοςὅθεν καὶ τὴν ἡμέραν ἐκείνην ἐπινίκιονοὖσαν ἐν τῷ Ἰουλίῳ μηνὶ τὰςεἰδούςΔιοσκόροις ἀνιερώκασι.

Il était encore tout jeune lorsqu’il fit sa première campagne. C’était au temps où Tarquin, qui avait été roi de Rome et qui avait été chassé, voulut, après avoir été battu en plusieurs rencontres, jouer, si je puis dire, son dernier coup de dé. La plupart des Latins et même beaucoup d’autres Italiens firent campagne avec lui et tentèrent de le ramener à Rome, moins pour lui complaire que pour renverser la puissance croissante des Romains, qui leur donnait de la crainte et de la jalousie. Dans cette bataille, où la chance tourna plus d’une fois, tantôt d’un côté, tantôt de l’autre, Marcius, qui se battait vigoureusement sous les yeux du dictateur, vit un Romain tomber près de lui. Loin de s’en désintéresser, il se plaça devant lui, le défendit et tua son agresseur. Après la victoire, le général le récompensa parmi les premiers en lui remettant une couronne de chêne. C’est la couronne que la loi accorde à celui qui a sauvé un concitoyen en le couvrant de son bouclier. Le choix de cet arbre s’explique soit parce qu’on aura voulu honorer le chêne à cause des Arcadiens, qu’on oracle du dieu a appelés mangeurs de glands, soit parce qu’on trouve aisément cet arbre partout où l’on fait campagne, soit parce que, la couronne de chêne étant consacrée à Zeus Polieus, elle semblait convenir pour récompenser le sauveur d’un citoyen. En outre, le chêne est, parmi les arbres sauvages, le plus fertile et, parmi les arbres cultivés, le plus vigoureux. Enfin les hommes ont tiré du chêne des glands pour se nourrir et, pour boire, de l’hydromel ; cet arbre leur a permis aussi d’attraper pour les manger la plupart des oiseaux, en leur fournissant comme instrument de chasse la glu. On dit que les Dioscures apparurent aux Romains dans cette bataille, et qu’aussitôt qu’elle fut terminée, on les vit au forum, sur leurs chevaux ruisselants de sueur, annoncer la victoire, à l’endroit où se trouve maintenant le temple qui leur est dédié, près de la fontaine. De là vient que le jour de cette victoire, les ides de juillet, a été consacré aux Dioscures.

Plutarque, Vies, Tome III, 3, Coriolan, Texte établi et traduit par R. Flacelière et É. Chambry, Paris, les Belles Lettres, 1964

Dans une Grèce arborée, le chêne était l’objet d’une vénération, dans l’oracle de Dodone, consacré à Zeus. Les prêtresses, les Péléiades, y exerçaient la dendromancie : le vent faisait remuer les feuilles dont le frémissement était interprété, selon une forme de divination probablement primitive. En Crète également, sur l’Ida, le petit Zeus fut transporté dès sa naissance, dans l’antre de Dicté, où son berceau d’or fut suspendu aux branches d’un chêne sacré, représentant sa mère absente, Rhéa, déesse du chêne. Mais il y avait d’autres chênes sacrés : sur le mont Lycée en Arcadie, le prêtre de Zeus faisait tremper un rameau de chêne pour faire tomber la pluie (Zeus étant considéré comme le dieu de l’orage et de la pluie fécondante). En Italie, le chêne n’était pas moins honoré : selon Virgile (Énéide, VIII), les sept collines de Rome étaient couvertes de bois de chêne dédié à Jupiter et le premier temple du Roi des Dieux avait été édifié auprès d’un chêne vénéré. Le Mont Coelius s’appelait jadis la montagne du Bois de Chêne (Varron, De Lingua latina, V, 49). La dévotion au chêne s’expliquait aussi par les bienfaits qu’on lui attribuait (Théophraste, Histoire des plantes, III, 7) : solidité, excroissance très utilisée en teinture et médecine. Séchés et moulus, les glands fournissaient notamment un pain qui fut consommé, en période de disette, jusqu’au XVIIIe s.

Mais le culte du chêne est un apanage du monde celtique : les Romains furent émerveillés par les immenses forêts de chênes de la Germanie, qu’ils pensaient contemporains de l’origine du monde et presque immortels. Pour ne pas pénétrer la forêt du monde celtique, nous voudrions redresser une idée déjà présente chez les auteurs anciens, qui fait dériver le mot druide, par étymologisation grecque, de drus(le chêne). Les celtisants le font venir de la racine dru-vid (le vid- indo-européen de la vue et de la connaissance dans uideoet oida) et qui voudrait dire « le très savant, le très sage ». En revanche, les chênes ont bien marqué la toponymie de notre pays : le cassanos gaulois, d’où chêne, a produit des noms en quesn- (Quesnoy), en cass- (Cassaigne), en cha- (Chanoz) et en -che- (Chesny) ; le romain robur(chêne rouvre) a donné Rouveray, Rouet, la Ravoire, Reuves ; le germanique Eiche explique Ecques et Eecke. Pour détourner l’expression proverbiale antique d’Hésiode et Homère : on peut compter sur le bon vieux chêne comme sur le rocher.

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