Les amis de Guillaume Budé - La vertu et la fortune, deux thèmes essentiels du Prince de Machiavel

Texte :

Cette chronique  raconte la vie des Classiques à la Renaissance. Des contemporains de l’humaniste Guillaume Budé (1467-1540) permettent de voir comment l’Antiquité alimente la culture, la pensée et la langue de l’époque.

Ou, pour le dire autrement, fortune et vertu sont deux des « concepts-clés du discours machiavélien sur le comportement et le sort de l’homme, et du prince en particulier » (glossaire de Paul Larivaille, in Machiavel, le Prince, p. 345). Cela étant posé, qu’entend Machiavel par fortune et vertu ? Comme en français moderne, la fortune peut désigner le destin, le sort, le hasard.

Je n’ignore pas que beaucoup ont été et sont d’opinion que les choses du monde sont gouvernées par la fortune et par Dieu, de telle sorte que les hommes avec leur prudence ne peuvent les corriger, et même qu’ils n’y ont aucun remède, et que cela étant ils pourraient juger qu’il n’y a pas lieu de se donner beaucoup de mal pour les choses de ce monde, mais bien de se laisser gouverner par le sort. 

(Machiavel, le Prince, traduction de Paul Larivaille, chapitre XXV, 1, p. 78)

Bien évidemment, Machiavel va plus loin que cette opinion populaire :

Y pensant quelquefois moi-même, j’ai jusqu’à un certain point penché pour leur opinion ; néanmoins, afin que notre libre arbitre ne soit pas réduit à néant, je juge qu’il peut être vrai que la fortune soit l’arbitre de la moitié de nos actions, mais aussi qu’elle nous en laisse, à nous, gouverner l’autre moitié ou à peu près. Et je la compare à un de ces fleuves dévastateurs qui, quand ils se mettent en colère, inondent les plaines, dévastent arbres et édifices, emportent du terrain d'un côté, en déposent de l’autre ; tout le monde fuit devant eux, tout le monde cède à leur fureur, sans pouvoir nulle part y faire obstacle ; mais bien qu’ils soient ainsi faits, il n'en reste pas moins que les hommes, lorsque les temps sont paisibles, pourraient y pourvoir par des levées de terre et de digues, de sorte qu’ensuite, quand ces fleuves monteraient, ou ils s’évacueraient par un canal, ou bien leur impétuosité ne serait ni aussi effrénée ni aussi dévastatrice. Il en va de même pour la fortune, qui montre sa puissance là où il n’y a pas une vertu à même de lui résister et porte ses assauts là où elle sait que n’ont pas été faites les digues et les défenses destinées à la contenir. 

(Ibid., chapitre XXV, 3-7, p. 78-79)

La vertu peut donc s’opposer à la fortune. Il est alors nécéssaire de comprendre quel sens Machiavel donne à ce mot qui vient de virtus en latin : « il a deux sens très distincts, pour ne pas dire opposés. Chez les moralistes, il signifie la vertu au sens où nous l’entendons le plus souvent aujourd’hui. C’était le sens des quatre vertus “cardinales” définies par les scolastiques : justice, prudence, force et tempérance. […] La virtus antique n’est que la troisième de la liste et elle est bien plus que la force. Elle est la valeur du combattant, l’énergie virile (vir signifie “homme” en latin). Elle sera l’efficacité d’un remède – ou l’agent d’une infection (le virus). C’est un mélange d’audace et de témérité. C’est de celle-ci que parle Machiavel, fasciné par les exploits des héros de l’Antiquité, et de certains de ses contemporains. » (Érasme, L'Éducation du prince chrétien [ou l'art de gouverner], introduction de Jean-Christophe Saladin, p. 14).

La prochaine chronique nous permettra de voir comment ces deux notions de vertu et fortune s’articulent dans la pensée machiavélienne. « Volgere il viso alla fortuna ».

 

File:Cristofano dell'Altissimo Ritratto di Niccolò Machiavelli .jpg

Portrait de Nicolas Machiavel, en latin Nicolaus Macchiavellus, par Cristofano dell’Altissimo. Source : Musée des Offices de Florence – Wikipedia.

 

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