Aitia - Le ciel étoilé – La Boucle de Bérénice

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Ami des Classiques, tout est plein de dieux ! Qu’il s’agisse de phénomènes naturels, de rites religieux ou de toponymes, les mythes nous permettent de comprendre et d’expliquer le monde. Venez le découvrir avec les poètes de l’Antiquité ! Tous les quinze jours, Nicola Zito vous présente une “cause” différente.

Bérénice, épouse de Ptolémée III Évergète, n’est reine d’Égypte que depuis le 27 janvier 246 quand, au printemps de la même année, son époux doit partir en guerre contre la Syrie. Accablée de chagrin, la jeune femme fait le vœu d’offrir aux dieux une mèche de ses cheveux si son mari lui revient sain et sauf.

Ptolémée rentre victorieux à la fin de l’été ou au début de l’automne 245 : le moment est venu pour Bérénice de s’acquitter de sa promesse. Une cérémonie religieuse a donc lieu dans le sanctuaire d’Aphrodite, adoptée en Égypte comme déesse du mariage, cérémonie pendant laquelle la boucle est solennellement consacrée à tous les dieux, puis laissée sur place en tant qu’offrande votive.

Le lendemain, le drame a lieu : la boucle a disparu. Ptolémée III en est chagriné, et, dans le désarroi général, c’est à l’astronome Conon de Samos que revient le mérite de résoudre l’énigme de cette disparition inexplicable : ne voit-on pas, là-haut dans le ciel, entre les constellations du Lion, de la Vierge, du Bouvier et de la Grande Ourse, un groupe de sept nouvelles étoiles, disposées en triangle ? N’est-ce pas là qu’est passée la boucle de Bérénice ?

La découverte de la nouvelle constellation est tout de suite célébrée par Callimaque, auquel le couple royal confiera la réalisation de l’inventaire raisonné de la bibliothèque d’Alexandrie. Le poète donne la parole à la boucle elle-même, enlevée par le Zéphyr, serviteur d’Aphrodite – son temple se trouve justement sur le promontoire du Zéphyrion en Cyrénaïque – et par lui déposée dans le giron de la déesse : la mèche, inconsolable, exprime sur un mode élégiaque toute la douleur que sa séparation d’avec le chef royal a suscité chez elle et se dit prête à renoncer incontinent à l’honneur qui lui est fait de siéger dans la voûte céleste si elle peut revenir en arrière…

Mais son souhait n’a pas été exaucé. La boucle est toujours dans le ciel, les astronomes modernes l’appellent Coma Berenices (Com.), et il s’agit d’un amas stellaire situé au pôle nord galactique, où il abrite près de 30.000 galaxies. Celui-ci ne devait pas être complètement inconnu en 245 avant J.-C. : les astronomes babyloniens l’avaient déjà repéré et baptisé He-Gàl-Aa, “surabondance”. Cependant, pour les Grecs il n’avait pas de nom, et Conon, vraisemblablement désireux d’obtenir la faveur royale, aura saisi l’occasion que lui offrait la disparition de la boucle pour flatter Ptolémée III et son épouse. Quant à la pièce de Callimaque, indépendante au moment de sa création, le poète la placera par la suite à la fin de son chef-d’œuvre, les Aitia. Certes, la “découverte” d’une nouvelle constellation n’est pas ancienne comme les autres “causes” dont il est question dans le reste de l’ouvrage, mais elle dut faire sensation dans l’Alexandrie du IIIe siècle avant J.-C., que caractérise un essor remarquable des études scientifiques. Dionysos avait placé dans le ciel la couronne de sa bien-aimée Ariane ; c’est maintenant grâce à Conon et Callimaque que Bérénice peut entrer dans le mythe de son vivant.

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