Anthologie du rire — Qu’est-ce qui fait rire Cicéron ?

6 avril 2016
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La postérité a transmis l’image d’un Cicéron sévère, digne et grave. S’il n’était peut-être pas un bout en train, le grand avocat avait l’esprit à la blague, dans des circonstances parfois étonnantes. En voici quelques exemples, extraits de Rire avec les Anciens, textes réunis et présentés par Danielle Jouanna, Les Belles Lettres, coll. « Signets » à paraître en juin 2016 - couverture non définitive

Dans le De Oratore, Cicéron énumère tous les moyens employés par les orateurs pour acquérir les faveurs de l’auditoire ; parmi ceux-ci, l’humour occupe une bonne place. Cicéron cite en exemple cet interrogatoire d’un témoin, Silus, par Crassus, avocat de Pison l’accusé.

Silus, entendu en témoignage, chargeait beaucoup Pison, tout en ne rapportant que des on-dit. « Il se peut, demanda Crassus, que celui dont tu tiens ces propos les ait tenus par colère ? » Silus fit un signe affirmatif. « Il se peut aussi, continua Crassus, que tu n’aies pas bien compris ? » Silus, de toute la tête, fit signe qu’il en convenait. « Il se peut aussi, ajouta Crassus, que tout ce que tu prétends avoir entendu, tu ne l’aies jamais entendu ? » Cette dernière question était si imprévue qu’un rire général s’éleva, accablant le témoin.

De l’orateur, II, 70

Verrès a pillé systématiquement la Sicile lorsqu’il en était le préteur. Cicéron, dans sa plaidoirie contre lui, évoque un cas où il fut volé par plus voleur que lui. Il utilisait comme rabatteurs deux frères connus pour leur flair en matière d’œuvres d’art… et leur manque de scrupules.

Juges, écoutez cette histoire. Je m’en souviens bien ; Pamphile de Lilybée, homme de marque, mon ami et mon hôte, me l’a racontée : Verrès par abus de pouvoir lui avait enlevé une aiguière ciselée par Boethos, d’un remarquable travail, d’un grand poids. Il rentra chez lui tout abattu et bouleversé par le vol d’un tel vase, qu’il tenait de son père et de ses ancêtres, et dont il avait coutume de se servir les jours de fête et à l’arrivée des hôtes. J’étais assis tout abattu chez moi, dit-il ; accourt un esclave du temple de Vénus ; il m’ordonne d’apporter sur le champ au préteur des coupes ornées de figures en relief. J’en fus tout ému, dit Pamphile. J’en avais deux ; pour ne pas m’exposer à un surcroît de malheur, je les fais tirer l’une et l’autre de leur place et porter avec moi chez le préteur. J’arrive ; le préteur reposait ; les frères de Cibyre se promenaient en faction. À peine m’ont-ils aperçu : « Où sont ces coupes, Pamphile ? » s’écrient-ils… Tout abattu, je les leur montre, ils les prisent. Je commence à me plaindre, disant qu’il ne me restera aucun objet de quelque valeur, si on va jusqu’à m’enlever les coupes. Alors ceux-ci, me voyant bouleversé : « Que veux-tu nous donner pour qu’on ne te les prenne pas ? » Pour faire court, c’est mille sesterces qu’ils me demandèrent. Je dis que je les donnerais. Sur ces entrefaites le préteur appelle, réclame les coupes. Alors ils se mettent à raconter au préteur qu’ils avaient cru, pour l’avoir entendu dire, que les coupes de Pamphile avaient quelque valeur ; mais c’était un travail de basse qualité, indigne de trouver place dans l’argenterie d’un Verrès. Il déclare qu’il est de leur avis. Et c’est ainsi que Pamphile remporte ses très belles coupes.

Seconde action contre Verrès, livre IV, 14