Anthologie du rire : Lucien

5 avril 2016
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Extraits de Rire avec les Ancienstextes réunis et présentés par Danielle Jouanna, Les Belles Lettres, coll. « Signets » à paraître en juin 2016 - couverture non définitive. 

MOMUS, dieu de la raillerie

Dieu mineur, Momus est le dieu de la raillerie. Il ne craint pourtant pourtant pas de s’attaquer à Zeus. Devant tous les dieux de l’Olympe réunis en assemblée, le père des Dieux en prend pour son grade.

HERMÈS. – Écoutez, silence ! Qui veut prendre la parole parmi les dieux autorisés par leur âge ? La discussion porte sur les immigrés et les étrangers.

MOMUS. – Moi, Zeus, moi, Momus, si tu me permets de parler.

ZEUS. – La proclamation le permet ; tu n’as pas besoin de ma permission.

MOMUS. –  S’il est permis de parler même de toi en toute franchise, […]  il faut, je crois, en venir aux principaux reproches : je vais les formuler. L’origine de ces abus, la présence de bâtards dans notre assemblée, c’est toi, Zeus, qui en es la cause, en couchant avec des mortelles et en descendant auprès d’elles tantôt sous une forme, tantôt sous une autre ; si bien que nous, nous craignons toujours qu’on n’aille se saisir de toi et t’offrir en sacrifice quand tu es taureau, ou, quand tu es or, qu’un ouvrier fondeur d’or n’aille réaliser son œuvre avec toi, et que nous te retrouvions sous forme de collier, de bracelet ou de boucle d’oreille – sans compter que tu as rempli le ciel de ces demi-dieux.

L’Assemblée des dieux, 7 (trad. Danielle Jouanna)

Momus n’est pas le seul à se moquer du Père des dieux…

TIMON. – Ô Zeus, dieu de l’amitié, de l’hospitalité, de la camaraderie, du foyer, des éclairs, des serments, assembleur de nuées au bruit retentissant, ou tout autre qualificatif que te donnent les poètes frappés par le tonnerre, surtout quand ils ont des embarras métriques : c’est alors qu’ils te dotent de mille noms, pour soutenir la chute du vers et remplir les blancs du rythme… – où sont passés à présent ton éclair dont le fracas sème la discorde, ton tonnerre au grondement profond, ta foudre qui brûle, brille et terrifie ? Tout cela se révèle donc bavardage, fumée purement poétique, en dehors du tintamarre des mots. Ton arme tant chantée, qui porte au loin et que tu tiens toujours à la main, s’est, je ne sais comment, complètement éteinte : elle est glacée, et ne conserve pas la moindre étincelle de colère contre les méchants. Ceux qui veulent se parjurer redouteraient plutôt une vieille mèche que la flamme de la foudre qui dompte l’univers, tant ils ont l’impression que tu brandis un tison dont ils ne craignent ni le feu ni la fumée ; ils imaginent que le choc aura pour seul effet de les couvrir de suie. […] Eh bien, maintenant, fils de Cronos et de Rhéa, secoue donc enfin ce sommeil profond et délicieux ! Tu as dormi plus longtemps qu’Épiménide  ! Souffle sur ta foudre pour la raviver ou rallume-la à l’Etna, fais une grande flamme : puisses-tu montrer la colère d’un Zeus viril et jeune – à moins que ne soient vrais les récits que les Crétois font sur toi et le tombeau que tu aurais chez eux !

ZEUS (sur l’Olympe, à Hermès). – Quel est cet homme, Hermès, qui braille depuis l’Attique, près de l’Hymette, au pied de la montagne ? Il est tout crasseux, négligé, et vêtu d’une peau de bête. Il bêche, je crois, le dos courbé. C’est un bavard, un impudent. Sans doute un philosophe, sinon il n’enchaînerait pas contre nous des paroles aussi impies.

Timon ou le Misanthrope 1-7