Mètis – Bagatelles pour l’hiatus

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Tous les mois, Michel Casevitz (professeur émérite de philologie grecque) traite d’une étymologie susceptible de présenter un intérêt méthodologique pour saisir le véritable sens d’un mot français ou en rectifier l’étymologie généralement admise.

Il y a beaucoup de différences entre le parler et l’écrit quand il s’agit de langue et particulièrement de la langue française. Et l’écrit peut parfois empêcher l’oral de s’exprimer sans gêne.

Ainsi le mot hiatus[1] ignore, dans les dictionnaires anciens, si l’h est aspiré ou non. Curieusement, à l’oral, le locuteur, inspiré par le sens du nom lui-même, fait un hiatus en parlant de « ce hiatus[2] », alors que les dictionnaires écrivent « cet hiatus ». L’hiatus, rencontre de deux voyelles, est rare à l’intérieur des mots et la poésie l’accepte ; il s’agit alors d’hiatus internes, où le poète impose une diérèse, comme dans « la passi-on » et la liberté est souvent laissée dans ce domaine prosodique. Mais c’est la rencontre d’une voyelle finale d’un mot avec une voyelle initiale du mot suivant qui est bannie par la poésie classique. Voici ce que dit le dictionnaire de Littré, après avoir défini l’hiatus dans la versification grecque et latine : « Dans la langue française, [l’hiatus est le] son produit par la rencontre, sans élision possible, de deux voyelles dont l’une finit un mot, et l’autre commence le mot suivant. « Il y a des hiatus choquants, il y en a d’agréables. Notre poésie même me paraît ridicule sur ce point ; on rejette : j’ai vu mon père immolé à mes yeux ; et on admet : j’ai vu ma mère immolée à mes yeux, quoique l’hiatus du second vers soit beaucoup plus ridicule » d’Alembert, 11 mars 1770. Dans sa correspondance, P.-L. Courrier, prosateur, écrit : « Vous serez bien aises de savoir que j’arrivai ici hier (voilà un affreux hiatus dont je vous demande pardon. » Lettre , I, 305.

Mais la poésie est un domaine spécifique, restons dans le domaine du français courant.

Quelques autres exemples de l’opposition entre écrit et oral sont banals : on trouve en prose de nombreux exemples de ça en hiatus avec une forme de verbe avoir : ainsi dans Le Monde daté du 30-31 octobre 2022, article d’A. Clément, p. 26 1ère col. : « ça aurait été la fin » (et dans le même article ; ça allait). Dans le premier cas, rien n’empêchait d’élider le démonstratif ; dans le second, l’élision est sentie comme impossible et on essaie souvent d’employer une autre tournure. Mais à l’oral rien ne semble s’opposer à garder ça sans élision. L’hiatus est plus difficile à maintenir avec « si il » : l’euphonie impose « s’il » la plupart du temps.

La langue semble parfois résister à transcrire la parole. Dans le Carnet  du Monde daté du 1erdécembre  2022, page 29, on lit, à la rubrique Anniversaire : « pour ta majorité nous t’offrons le Monde. Il t’appartient, saisis-en toi… » Il semble que le rédacteur n’ait pas pensé à la forme plus simple et correcte, avec élision du pronom en hiatus : saisis- t’en.   

Deux faits encore nous semblent encore mériter l’examen. On trouve par écrit une phrase du type : Le général a levé une armée de un million de soldats. Le maintien de l’hiatus nous paraît tenir le rôle des deux points que la langue administrative pourrait mettre après de. En tout cas, à l’oral, on ne dit que « une armée d’un million de soldats. » Et l’hiatus permet de changer l’unité de mesure et d’écrite deux milions, trois millions, etc. sans que la syntaxe xhange.

Enfin, nous avons remarqué une publicité pour SOS Méditerranée parue récemment page 1 dans Le Monde daté du 8 décembre 2022 : « Répondez à ce SOS ». En fait on pourrait peut-être mieux dire en lisant « cet SOS », vu que c’est la seule prononciation possible à l’oral (on prononce essos).

Il y a évidemment d’autres traits qui distinguent clairement écrit et oral : les grammairiens ont souvent insisté sur l’oral mais l’écrit doit aussi être étudié dans ses traits spécifiques. Sur l’hiatus, les faits sont un peu complexes, mais ce mot expose à différents phénomènes…

 


[1] En latin classique, hiatus,-ūs, masculin,  désigne l’action d’ouvrir (la bouche), > l’ouverture elle-même, la fente >  la béance (que manifeste la personne avide, cupide), la convoitise (Tacite)  la parole (Horace), mais aussi l’hiatus en grammaire  (Cicéron, Quintilien). Le nom est un dérivé du verbe hiō, -ās, -­āre,-āuī,-ātum « être béant »(cf. Ernout-Meillet, DELL,s.u.).

[2] On trouve l’hiatus maintenu (Ce hiatus) dans de nombreux textes imprimés : ainsi, au moment de terminer cette chronique, commencée il y a une quinzaine de jours, je trouve ce hiatus, aujourd’hui page 7 du Monde daté de 23 décembre 2022, dans un article sur la Chine où « officiellement, aucun d’eux [les personnalités mortes de la nouvelle vague de Covid-19] n’est mort du virus » La mort d’untel est attribuée par les Chinois au Covid mais la cause indiquée par les autorités est  « un rhume sévère ». Ce hiatus horripile les internautes. » Il me semble au demeurant que le correcteur orthographique installé sur mon ordinateur supporte non l’hiatus mais le hiatus… : le journaliste n’est pas coupable ! D’ailleurs, dans le Petit Larousse illustré, édition de 2022, On trouve un double lemme : « Hiatus ou, couramment, *hiatus », l’astérisque signalant un  h aspiré.

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