Les Amis de Guillaume Budé – Dante (Gabriel Rossetti) et Béatrice

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Cette chronique  raconte la vie des Classiques à la Renaissance. Des contemporains de l’humaniste Guillaume Budé (1467-1540) permettent de voir comment l’Antiquité alimente la culture, la pensée et la langue de l’époque.

Dans la continuité de la chronique précédente, nous proposons aujourd’hui une confrontation entre l’œuvre de Dante Alighieri et celle du peintre préraphaélite Dante Gabriel Rossetti. Ce dernier a largement puisé son inspiration dans la poésie du maître italien, auquel il rend hommage avec son nom même. Baptisé Gabriel Charles Dante Rossetti, le peintre choisit de mettre le prénom Dante à la première place.

Pour commencer, voici l’un des portraits de Béatrice réalisé par le peintre :

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Image : The Salutation of Beatrice, Dante Gabriel Rossetti, 1869
The Salutation of Beatrice, Dante Gabriel Rossetti, 1869 (source : Wikimedia)

En haut à gauche, dans un cartouche, figure le sonnet « Tanto gentile e tanto onesta pare » du chapitre XXVI.

Quand elle salue quelqu’un
Ma Dame paraît si gentille et si honnête
Que chaque langue doit, en tremblant, se taire,
Et les yeux n’osent la regarder.

Elle s’en va, se sentant vêtue de louanges, 
De bienveillance et d’humilité,
Et elle semble être une chose venue du ciel 
Sur la terre pour montrer un miracle.

Elle se montre si agréable à ceux qui la regardent 
Que cela en donne une cœur par les yeux une douceur
Qui ne se peut comprendre si on ne l’a pas éprouvée ;

Et il semble que de ses lèvres émane
Un doux esprit plein d’amour
Qui va disant à l’âme : soupire !

 

Rossetti s’est inspiré de différents événements racontés par Dante dans la Vita nuova (Vie nouvelle) et notamment de la seconde rencontre qui figure au chapitre III.

« Cette femme merveilleuse m’est apparue, habillée d’un vêtement d’une couleur très blanche, entre deux femmes plus âgées. Et passant par une rue, elle tourna les yeux vers l’endroit où j’étais, craintif, et, elle me salua très vertueusement avec une ineffable courtoisie […] »

 

Image : The Salutation of Beatrice (détail), Dante Gabriel Rossetti, 1859-1863
The Salutation of Beatrice (détail), Dante Gabriel Rossetti, 1859-1863 (source : Wikimedia)

 

Au chapitre XIV de la Vita nuova, Dante raconte l’éblouissement qu’il a en revoyant Béatrice lors d’un mariage. 

[…] il m’a semblé sentir un merveilleux tremblement qui commençait dans ma poitrine du côté gauche et s’étendait immédiatement dans toutes les parties de mon corps. 
Alors, je fis semblant de m’appuyer contre une peinture qui faisait le tour de la salle et, craignant que l’on remarque mon tremblement, je levai les yeux et, regardant les femmes, je vis parmi elles la très aimable Béatrice. Alors, mes esprits se trouvèrent tellement détruits par la force de l’Amour, quand je me vis dans une telle proximité avec la femme la plus aimable, qu’il ne resta plus en moi de vivant que la vision.

 

Image : Beatrice Meeting Dante at a Marriage Feast, Denies Him Her Salutation, Dante Gabriel Rossetti, 1855
Beatrice Meeting Dante at a Marriage Feast, Denies Him Her Salutation, Dante Gabriel Rossetti, 1855 (source : Wikimedia)

 

Sans être exhaustifs pour autant, citons un autre tableau qui s’inspire — très librement —de la vision qu’a Dante de la mort de Béatrice, au chapitre XXIII de la Vita nuova. Rossetti représente Dante, en noir, guidé par l’Amour, en rouge, vers son « admirable Dame ».

Alors il m’a semblé que mon cœur, où il y avait tant d’amour, me disait : « C’est vrai que notre Dame est morte. » Et c’est pourquoi j’ai semblé aller voir le corps dans lequel avait été l’âme la plus noble et la plus bénie ; et c’était un fantasme si fort qu’il me montra cette femme morte avec des femmes qui lui couvraient la tête d’un voile blanc. Et il m’a semblé que son visage avait l’air si humble qu’il semblait dire : « Je vois le commencement de la paix. »

 

Image : Dante’s Dream at the Time of the Death of Beatrice, Dante Gabriel Rossetti, 1871
Dante’s Dream at the Time of the Death of Beatrice, Dante Gabriel Rossetti, 1871 (source : Wikimedia)

 

The Salutation of Beatrice (1859-1863), dont nous avons vu un détail plus haut, est intéressant, car il est construit comme un diptyque : la rencontre dans la Vita nuova à gauche et celle au Purgatoire à droite, avec au centre la mention de la mort de Béatrice le 9 juin 1290. 

Alors qu’elle fut partie de ce siècle, toute la cité resta, presque veuve, dépossédée de toute dignité ; et moi, toujours en train de pleurer dans cette ville désolée, j’ai écrit aux princes de la terre un peu de sa condition, reprenant cette lamentation du prophète Jérémie qui dit : « Quomodo sedet sola civitas… ? » (chapitre XXXI)

 

Image : The Salutation of Beatrice (détail), Dante Gabriel Rossetti, 1859-1863
Image : The Salutation of Beatrice, Dante Gabriel Rossetti, 1859-1863
The Salutation of Beatrice, Dante Gabriel Rossetti, 1859-1863 (source : Wikimedia)

 

Après la mort de Béatrice, Dante la rencontre à nouveau lorsqu’il découvre le Purgatoire (chant XXX) : « une dame m’est apparue, une couronne d’olivier et un voile blanc sur la tête, et vêtue des couleurs de la flamme vivante sous un manteau vert. »

Image : The Salutation of Beatrice (détail), Dante Gabriel Rossetti, 1859-1863
The Salutation of Beatrice (détail), Dante Gabriel Rossetti, 1859-1863 (source : Wikimedia)

Rossetti n’est pas le seul peintre à s’être intéressé à Dante et Béatrice ; l’illustration des prochaines chroniques vous en donnera un aperçu.

« Onorate l’altissimo poeta ; / l’ombra sua torna, ch’era dipartita. » 
« Honorez le très grand poète ; / son ombre revient, qui était partie. »

 

 

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