Entretien avec Pedro Duarte sur l'Académie des langues anciennes

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À l’occasion de l’édition 2022 de l’Académie des langues anciennes, dont les cours auront lieu du 18 au 27 juillet 2022 à l’Université de Pau, Pedro Duarte nous a accordé un entretien exclusif pour nous la présenter. Vous pouvez trouver ici le programme des cours 2022 et consulter les informations pratiques et inscriptions, jusqu’au 30 juin !

 

La Vie des Classiques : Qu’est-ce que l’Académie des langues anciennes ?
Pedro Duarte : Il s’agit d’une université d’été qui propose des cours en langues anciennes, dont le grec ancien, le latin, l’hébreu biblique, le sanskrit, mais aussi des langues anciennes un peu plus rarement enseignées comme le syriaque, le vieux-slave ou encore l’akkadien. Depuis 2017, l’Académie a lieu à l’Université de Pau et des Pays de l’Adour, après avoir longuement eu lieu à Digne-les-Bains. Les participants suivent 40 heures de cours de langue ancienne dans la seconde quinzaine de juillet, pendant une dizaine de jours, dans une ambiance à la fois studieuse et sympathique. À noter que les étudiants qui le souhaitent peuvent demander en outre une attestation de 5 crédits ECTS délivrés par l’Université de Pau, dans le cadre de la convention établie pour l’Académie des langues anciennes.

 

L.V.D.C. : Quand a-t-elle été fondée ? Par qui et pourquoi ?
Pedro Duarte : L’Académie des langues anciennes fut fondée en 1979 par Christian Amphoux et Jean Margain pour permettre à qui le souhaitait d’avoir l’opportunité de suivre un cours de langue ancienne durant l’été, sur une dizaine de jours. L’idée première était de permettre aux participants de se former en langues anciennes dans l’optique de la lecture des textes sacrés, notamment des religions monothéistes, d’où son nom d’origine : « Sessions de langues bibliques ». Si cette perspective reste bien entendu présente pour qui veut se former avec ce dessein, elle n’est plus exclusive, ce qui s’est d’ailleurs traduit par l’élargissement du catalogue de langues anciennes proposées et le changement de nom. En outre, si l’académie est portée par l’association Les Amis des langues anciennes, elle bénéficie également du soutien du laboratoire de recherche aixois « Textes et Documents de la Méditerranée ancienne et médiévale » (UMR 7297) qui en assure également la qualité scientifique au titre de ses activités de vulgarisation. Depuis l’accueil palois de notre université d’été, notre académie est également soutenue par le Collège des Sciences sociales et Humanités de l’Université de Pau. Je voudrais ici aussi les remercier très chaleureusement pour leur confiance et leur aide précieuses.

 

L.V.D.C. : A qui s’adresse-t-elle ? Quel est l’âge des participants ?
Pedro Duarte : L’Académie des langues anciennes est ouverte à tous, amateurs, passionnés des langues anciennes, curieux ou encore étudiants qui veulent se former, notamment pour préparer un concours (pour ainsi dire, une « remise à niveau » pour les CAPES ou agrégations de Lettres classiques et modernes ou encore pour l’agrégation d’Espagnol) ou dans le cadre de leurs recherches doctorales, voire dès le Master. Il n’est pas rare que des collègues spécialistes de Lettres classiques qui n’ont plus l’occasion d’enseigner le latin ou le grec (voire les deux) viennent titiller le Gaffiot ou le Bailly à l’occasion de cette académie. Les participants sont d’âges très différents, ce qui est un véritable atout de cette académie par les échanges et discussions ainsi possibles, par les rencontres plus ou moins improbables mais toujours stimulantes qu’elle suscite voire provoque. Il faut bien l’entendre : le principe est d’avoir une forme de stage intensif en langues anciennes, mais le tout dans une ambiance très sympathique. Après l’annulation contrainte de notre édition en 2020, nous avons eu d’autant plus à cœur de retrouver une école d’été « en présentiel » (comme il est désormais usuel de le dire et de l’écrire) et ce, dès que possible : tel fut le cas dès l’été 2021 et ce fut un rendez-vous magnifique et inoubliable, avec quelque 100 participants, dont nombre d’étudiants qui avaient été frustrés par un enseignement qui a souvent dû se dérouler « en (tout) distanciel » durant l’année universitaire 2020-2021. De fait, si nous sommes attachés à la diversité du public présent dans notre académie, nous sommes également sensibles à l’accès aux langues et cultures antiques permis aux étudiants, d’où un tarif dédié (150€ pour le tarif étudiant, contre 500€ pour le tarif plein).

 

L.V.D.C. : Faut-il avoir fait des langues anciennes pour venir ?
Pedro Duarte : Pas nécessairement. Nous proposons toujours un niveau débutant pour les langues anciennes au programme d’une édition. Au regard de l’intérêt des participants, nous prévoyons alors également un niveau intermédiaire, voire un niveau confirmé. La question du niveau ne doit d’ailleurs pas être un frein à l’inscription, puisque les participants peuvent tout à fait changer de cours au début de l’académie s’ils se rendent compte qu’ils ont mal jugé de leur niveau. Typiquement, plusieurs personnes pensent avoir beaucoup oublié depuis leurs derniers cours de langues anciennes, mais une fois qu’ils se remettent, par exemple, au grec ou à l’hébreu, ils voient qu’ils ont été mauvais juges d’eux-mêmes ! Ils changent alors de groupe de niveau dès le début de l’académie, profitant ainsi pleinement du cours le plus approprié.

 

L.V.D.C. : Quelles sont les langues enseignées et pourquoi ce choix ?
Pedro Duarte : Il existe pour ainsi dire un socle de langues anciennes à l’Académie, à savoir l’arabe littéraire, le grec ancien, l’hébreu biblique et le latin. Cela s’explique par l’historique de l’Académie et par l’offre de ses débuts, en rapport avec les textes sacrés. Depuis, nous avons toujours eu à cœur de maintenir ces langues. En outre, nous proposons pour chaque édition au moins deux autres langues anciennes plus rarement enseignées : akkadien, égyptien hiéroglyphique, hittite, sanskrit, syriaque, vieux-slave... Cela est discuté lors de l’assemblée générale qui a lieu durant la tenue de l’académie, ce qui permet à tous les participants de s’exprimer pour voir quels choix de langues intéressent les participants et pour ainsi organiser la prochaine édition. Cela présente également le grand mérite et avantage de permettre aux participants de prévoir leur été suivant, bien entendu !

 

L.V.D.C. : Peut-on commencer plusieurs langues ?
Pedro Duarte : Cela n’est pas prévu à l’Académie, dans la mesure où une session compte 40 heures de cours, ce qui est déjà dense pour un apprentissage linguistique. Il faut parvenir à maintenir l’énergie et l’entrain des participants tout au long des jours de l’académie. En outre, en fin d’après-midi, sont proposées des conférences ou des ateliers ouverts aux participants qui souhaiteraient continuer à apprendre, sous un angle souvent plus littéraire ou civilisationnel. Je me permets de vous renvoyer au site de l’Académie des langues anciennes pour en avoir un aperçu : https://ala.hypotheses.org/programme-academie-des-langues-anciennes

 

L.V.D.C. : Quel est le rythme des cours ? On est plutôt dans l’otium ou le studium ?
Pedro Duarte : Il s’agit d’un subtil et équilibré entre-deux : une forme d’aurea mediocritas ? Et cela fait partie de l’identité même de l’Académie des langues anciennes : toutes les personnes présentes sont hautement motivées, ce qui nous permet de travailler de manière tout à fait remarquable et efficace. Nous attachons alors une importance notable au plaisir d’apprentissage que doivent avoir les participants et à cet égard, il s’agit de voir dans chaque groupe comment définir le rythme juste pour tous, même s’il faut bien reconnaître que vers la fin du stage, la fatigue peut commencer à se faire sentir quelque peu. Mais nous n’avons déploré aucun participant qui ait déclaré forfait !

 

L.V.D.C. : A quoi s’occupent les élèves quand ils n’ont pas cours ?
Pedro Duarte : En dehors des révisions ? Outre les conférences et ateliers du soir déjà mentionnés, nous signalons des lieux d’intérêt facilement accessibles à Pau et dans les alentours, pour que les participants puissent découvrir la région béarnaise. Je pense d’emblée au château de Pau – parfois dit château d’Henri IV, "lou nouste Henric" – ainsi qu’à son quartier Renaissance où se trouve le Parlement de Navarre, à la Maison Bernadotte, famille notamment illustre parce que liée à la famille royale de Suède, au musée des Beaux-Arts, sans oublier le boulevard des Pyrénées qui permet de jouir d’une vue panoramique saisissante sur la chaîne des Pyrénées... Dans les alentours, je citerai pêle-mêle la ville de Lescar dont le cœur historique est charmant, Jurançon connu pour ses vignobles qu’il est parfois possible de visiter, avec ou sans dégustation du fameux vin. Pour le week-end, nous signalons les lieux d’intérêt à environ une heure de Pau (comme Oloron-Sainte-Marie ou encore Lourdes et Bayonne) et nous souhaitons proposer une visite, si la situation sanitaire le permet. Nous signalons enfin les randonnées qui peuvent être faites dans la région, depuis la balade paisible du « chemin d’Henri IV », jusqu’à des randonnées plus sportives dans les Pyrénées. Et enfin, il n’est pas rare que le Tour de France fasse étape à Pau durant la tenue de l’Académie des langues anciennes ! Bien entendu, la gastronomie n’est pas en reste et les gourmands pourront découvrir ou redécouvrir par exemple « le Russe », gâteau emblématique d’une fameuse enseigne d’Oloron-Sainte-Marie, qui a également une pâtisserie à Pau. Je ne saurais bien sûr pas épuiser la liste des réjouissances proposées dans le Béarn « quand j’aurais dix langues, dix bouches, une voix infatigable et une poitrine d’airain ». J’en profite pour dire que nous sommes particulièrement chanceux de l’accueil qui nous est réservé à Pau et que je tiens à renouveler mes remerciements les plus vifs et chaleureux à la fois à l’Université de Pau et des Pays de l’Adour et à son président, M. Laurent Bordes, mais également à la municipalité de Pau et à la personne de M. le Maire de la ville de Pau, M. François Bayrou.

 

L.V.D.C. : Qui sont les enseignants ?
Pedro Duarte : Les enseignants sont des enseignants ou enseignants-chercheurs, très souvent en poste dans l’enseignement supérieur ou au CNRS. Nous sommes attachés à deux principes : la sollicitation de collègues qui ont un lieu avec la recherche, afin qu’ils puissent répondre à la curiosité intellectuelle des participants au sujet de l’actualité de la recherche dans les langues enseignées. Ainsi, les enseignants sont souvent docteurs ou bien préparent un doctorat. Précisément, nous tenons à recruter pour partie de jeunes collègues remarquables, généralement doctorants ou jeunes docteurs, qui trouvent alors une occasion – parfois rare ! – d’enseigner leur langue de spécialité. Récemment, nous avons ainsi eu le plaisir d’avoir Camille Guérin pour l’enseignement de l’égyptien hiéroglyphique et nous aurons cette année Iris Farkhondeh pour l’enseignement du sanskrit.

 

L.V.D.C. : Connaissez-vous des initiatives similaires en France ou à l’étranger ?
Pedro Duarte : Assurément, il existe une académie comparable en Belgique et une autre en Italie, mais je ne saurais nullement prétendre à l’exhaustivité et il est possible sinon probable que d’autres existent ! D’ordinaire, nous veillons à ne pas proposer nos sessions en même temps durant l’été avec les universités d’été belge et italienne : il est même certains participants qui font ainsi une forme de marathon d’académies de langues anciennes !

 

L.V.D.C. : Cela fait plusieurs années que vous participez à cette Académie, pourriez-vous partager quelques souvenirs qui vous ont marqués (et donnés envie de revenir) ?
Pedro Duarte : Nous avons une tradition que je trouve très sympathique à l’Académie, à savoir un « spectacle » de fin d’académie, à l’occasion du cocktail conclusif. Il s’agit d’un spectacle sans prétentions, qui est l’occasion de réunir une dernière fois tous les participants autour d’un moment d’une très grande convivialité. Pour préparer ce final de l’Académie, dans chaque groupe, nous invitons enseignants et étudiants à concevoir une courte intervention qui peut être la lecture d’un texte, accompagné de sa traduction, jusqu’à des saynètes bien sympathiques et drôles où enseignants et étudiants jouent le jeu. C’est un grand moment d’échange et de partage puisque tout le monde voit ainsi ce qui a été fait dans tel ou tel groupe de langue ancienne. Bien entendu, nous ne forçons jamais les « Académiciens » à participer malgré eux, mais, d’expérience, s’il existe parfois des réserves liées à un premier mouvement de grande timidité, ces réserves tombent assez vite. Et tout finit par un « nunc est bibendum » qui clôt très aimablement l’académie.

 

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