Priape & Vénus - Le voyeurisme

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Jeune femme passionnée par la Rome antique, j’ai développé, au cours de mes études et au fil de diverses conférences et lectures, un intérêt grandissant pour la sexualité des Romains. Comment le sexe était-il perçu, pratiqué ou évoqué par nos ancêtres ? Voilà l’objectif de cette chronique qui tentera d’expliquer le présent par le passé.

Il y a quelques semaines, lors d’une soirée entre amis, nous en sommes venus à parler de nos fantasmes respectifs. Les questions et les réponses s’enchainaient gaiement jusqu’à ce que soit posée cette question : « Qui pourrait regarder quelqu’un en plein acte ? ». Si certains trouvèrent l’idée excitante ou exprimèrent leur curiosité face aux sensations que cela pouvait procurer, d’autres furent tout bonnement écoeurés et ne comprenaient pas d’où pouvait provenir une telle envie. 

Le voyeurisme est aujourd’hui considéré comme une perversion. Il est même qualifié de « trouble de la sexualité[1] ». Il est d’ailleurs puni par la loi. Mais en a-t-il toujours été ainsi ? Eh bien oui ! Le caractère pervers du voyeurisme est une constante dans nos sociétés occidentales, et ce depuis l’Antiquité. 

Le voyeurisme peut se définir comme le plaisir de regarder. Le voyeur est pris par une pulsion sexuelle indépendante des zones érogènes. Son plaisir est provoqué par le regard qu’il pose sur le corps de l’autre. 

Ce plaisir scopique connait plusieurs déclinaisons comme la scopophilie (parfois associée au voyeurisme) et le candaulisme. Chacune possède cependant ses caractéristiques et ses spécificités propres. Le voyeurisme sous toute ses formes est bien documenté dans les sources antiques. Il y est toutefois associé à une idée de perversion, de honte et de déshonneur bien qu’il semble aussi rattaché à la notion de fantasme, d’excitation et d’interdit. Qui n’a jamais ressenti de désir en bravant un interdit ou une convention sociale ? 

Lorsque l’on parle de voyeurisme, on pense immédiatement au fait de voir sans être vu. Il s’agit en effet de la forme la plus courante. Nous en trouvons un exemple dans le Satiricon de Pétrone (Ier s. ap. J.-C.), ouvrage licencieux par excellence : 

[...] consedimus ante limen thalami, et in primis Quartilla per rimam improbe diductam adplicuerat oculum curiosum, lusumque puerilem libidinosa speculabatur diligentia.

 « Pour nous, nous restons sur le seuil de la chambre, et au premier rang Quartilla qui, à une fente déloyalement aménagée, avait appuyé un oeil curieux et contemplait avec un vicieux intérêt leurs jeux enfantins.[2] » 

Ce passage nous renseigne sur la manière dont était perçu le voyeurisme. L’intérêt de Quartilla est qualifié de vicieux, donc de quelque chose de mal. Dans la suite du passage, le protagoniste se montrera véritablement écoeuré du comportement de sa compagne. On voit ici tout l’aspect malsain et contre nature de cette pratique. Alors oui, nous sommes dans le Satiricon, mais une satire a toujours un fond de vérité et accentue les vices de la société.

Mais le voyeurisme recouvre une réalité bien plus vaste que cette curiosité malsaine. 

Un autre texte marquant se trouve dans les Questions naturelles de Sénèque[3]. Il est mention d’un certain Hostius Quadra. Ce dernier est un homme particulièrement obscène qui utilise des miroirs grossissants pour admirer ses exploits sexuels pendant l’acte. Le plaisir de la scopophilie réside dans le fait de s’observer soi-même et son partenaire lors d’un rapport. S’il s’agit d’un fantasme relativement commun à notre époque, on voit que pour les anciens cela était obscène et scandaleux. Le plaisir scopique évoqué ici diffère cependant de celui du Satiricon car tout est pour ainsi dire consentit. On sait que l’on est vu, et l’on sait que l’on regarde. Cela relève plus de la scopophilie que d’un voyeurisme pervers. Ce comportement reste toutefois obscène. Et ce qui est scandaleux est l’étalage qu’il fait de son obscénité. 

Abordons maintenant le candaulisme. Cette pratique tire son nom de Candaule, un roi légendaire de Lydie. Si plusieurs auteurs nous rapportent son histoire, seul Hérodote (qui se base sur Archiloque) y ajoute le voyeurisme[4]. Candaule ne cessait de vanter la beauté de sa femme à son confident, un certain Gygès. Oui, celui du célèbre anneau de Gygès. Il s’agit d’une variante du mythe rapporté par Platon. Donc Candaule, pensant que Gygès était dubitatif, lui intima d’aller espionner sa femme au coucher. Gygès s’indigna d’une telle offre. Il accepta toutefois, cédant face à l’insistance dont faisait preuve le roi. Il épia la reine. Mais celle-ci le vit alors qu’il partait. Le lendemain, elle le convoqua et lui proposa ceci : tuer Candaule et l’épouser ou mourir. Gygès accepta et devint roi de Lydie. Ce roi mythique donna son nom à ce que l’on appelle aujourd’hui le candaulisme. S’il n’est pas question de relation charnelle dans la version d’Hérodote, cette notion est rattachée au candaulisme moderne. Le candaulisme se dit lorsqu’une personne ressent une excitation en exposant ou en partageant son conjoint à une ou plusieurs personnes. Ici aussi, on voit la perversion qui est associée au voyeurisme. Gygès dit en effet au roi : Ἅμα δὲ κιθῶνι ἐκδυομένῳ συνεκδύεται καὶ τὴν αἰδῶ γυνή, « En même temps qu’elle se dépouille de sa chemise, une femme se dépouille aussi de sa pudeur ». La honte associée au voyeurisme s’étend ainsi à la nudité. 

 

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Willam Etty, Candaule roi de Lydie montrant sa femme à Gygès, 1830 

Au-delà des romans et des mythes, le voyeurisme est présent chez des historiens romains. On le retrouve notamment chez Suétone lorsqu’il aborde les vicissitudes de l’empereur Tibère[5]. Le voyeurisme apparait là comme un comportement dépravé et honteux. Cette pratique est aussi évoquée pour Vitelius[6]. Il est alors question de déshonneur. Pour les deux hommes, cela aurait eu lieu sur la Villa Capri de Tibère. Réalité ou propagande diffamatoire à l’encontre de l’empereur ? 

Encore une fois, nous voyons qu’une pratique sexuelle peut être utilisée comme insulte et comme un moyen de décrédibilisation. 

Dans certains cas, le voyeurisme peut poser la question de l’exhibitionnisme. Chez les Romains, la nudité relève également de cette pratique, comme nous le verrons dans une prochaine chronique. 

Toutes ces versions du voyeurisme sont ancrées dans notre société moderne. Dans combien de films n’avons-nous pas vu des protagonistes épier par le trou de la serrure ? Idée pour le moins saugrenue puisqu’on ne voit rien (ou alors très mal). Les Bronzés, Les Sous Doués, tant de films potaches et grand public où le voyeurisme est banalisé et semble même caractéristique d’une bande de jeunes. Le voyeurisme est aussi très présent dans la série YOU, par exemple, où nous suivons Joe, le voyeur dans toute sa splendeur. Nous y sommes confrontés tous les jours. À tel point que nous pouvons parfois perdre de vue qu’il s’agit d’un acte répréhensible légalement. 

Se pose également la question des sex tapes, du revange porn et de tant d’autres situations où nous devenons voyeurs, parfois même sans le vouloir. La vitesse et l’accessibilité des informations peut nous conduire à des vidéos ou à des images qui nous confrontent à un voyeurisme forcé. Mais être voyeur peut aussi être un choix, comme lorsque nous regardons un film pornographique ou une sex tape. Cette barrière numérique où le toucher est impossible accentue notre plaisir. Notre écran devient alors cette petite serrure où, comme Quartilla, nous épions l’intimité de personnes qui n’ont parfois rien demandé. Dans ce cas, on peut se demander le traumatisme qui peut accompagner le voyeurisme. Car au-delà du plaisir du voyeur, il y a la détresse de celui qui est vu contre son gré. 

Chloé Bridoux

 

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[1] Dictionnaire Larousse

[2] Pétrone, Satyricon, XXVI

[3] Sénèque, Questions naturelles, I, 16, 1 

[4] Hérodote, Histoires, I, 8

[5] Suétone, Vie de Tibère, 3

[6] Suétone, Vie de Vitelius, 3

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