En voyage avec Sidoine Apollinaire (Jour 1)

11 août 2025
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Image : En voyage avec Sidoine Apollinaire
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L’été est là, et avec lui la possibilité du départ, du chemin à suivre, de l’horizon à rejoindre. Pour accompagner la saison, La Vie des Classiques vous propose une série de textes antiques autour du voyage, réel ou imaginaire, terrestre ou spirituel, tantôt éprouvant, tantôt initiatique. Des errances d’Io aux haltes d’Horace, de la quête du Nil racontée par Hérodote aux traversées d’Apollonios de Rhodes, en passant par les lettres de Jérôme et de Sidoine Apollinaire, ces extraits choisis vous feront parcourir le monde antique au rythme de celles et ceux qui l’ont foulé, rêvé ou fui. Chaque semaine, un ou deux auteur(s), des textes, cinq étapes. Bonnes pérégrinations !

À l’été 467, Sidoine Apollinaire (430-486) quitte Lyon pour rejoindre Rome. Il a été chargé par les notables auvergnats de présenter leurs doléances au nouvel empereur Anthémius. Dans la lettre à son ami Hérénius que nous vous proposons de lire cette semaine, il retrace avec esprit son voyage terrestre et fluvial, entre haltes officielles, paysages célèbres et épisodes plus inattendus.

 

Dès le début de sa lettre, Sidoine évoque son départ de Lyon, les adieux chaleureux, les invitations imprévues… et les premiers détours du voyage, avant même d’avoir franchi les Alpes.

Sidonius Heronio suo salutem.

1. Litteras tuas Romae positus accepi, quibus an secundum commune consilium sese peregrinationis meae coepta promoueant, sollicitus inquiris, uiam etiam qualem qualiterque confecerim, quos aut fluuios uiderim poetarum carminibus inlustres aut urbes moenium situ inclitas aut montes numinum opinione uulgatos aut campos proeliorum replicatione monstrabiles, quia uoluptuosum censeas quae lectione compereris eorum, qui inspexerint fideliore didicisse memoratu. Quocirca gaudeo te quid agam cupere cognoscere ; namque huiuscemodi studium de affectu interiore proficiscitur. Ilicet, etsi secus quaepiam, sub ope tamen dei ordiar a secundis, quibus primordiis maiores nostri etiam sinisteritatum suarum relationes euoluere auspicabantur.

2. Egresso mihi Rhodanusiae nostrae moenibus publicus cursus usui fuit utpote sacris apicibus accito, et quidem per domicilia sodalium propinquorumque ; ubi sane uianti moram non ueraedorum paucitas sed amicorum multitudo faciebat, quae mihi arto implicita complexu itum reditumque felicem certantibus uotis conprecabatur. Sic Alpium iugis appropinquatum, quarum mihi citus et facilis ascensus et inter utrimque terrentis latera praerupti cauatis in callem niuibus itinera mollita.

À son cher Hérénius

J’étais installé à Rome quand j’ai reçu ta lettre. Tu es anxieux de savoir si les entreprises qui font l’objet de mon voyage se développent suivant notre plan commun et aussi quel trajet j’ai suivi, de quelle manière je l’ai accompli, quels cours d’eau j’ai vus, illustrés par les chants des poètes, quelles villes célèbres par leur position fortifiée, les montagnes qu’a rendues fameuses la croyance qu’elles abritent des divinités, les plaines qu’on visite à cause du souvenir des batailles : tu trouves en effet un véritable plaisir (c’est ton propos) à contrôler les connaissances que la lecture t’a apportées par le récit plus fidèle de ceux qui ont vu de leurs yeux. Je suis heureux du désir que tu manifestes de savoir ce que je fais, car un intérêt de cette nature ne peut procéder que d’un sentiment d’affection. Je vais donc, en dépit de quelques déboires, commencer, avec l’aide de Dieu, par les bonnes nouvelles ; de tels débuts n’étaient-ils point tenus par nos ancêtres comme un départ de bon augure, même dans la relation de leurs mésaventures ?

Dès la sortie des remparts de notre cité Rhodanienne, j’utilisai, étant mandé par lettre impériale, la poste officielle, qui me fit passer d’ailleurs par les demeures de mes camarades et de mes proches ; ce qui causait les retards sur ma route, ce n’était pas le manque de chevaux de poste mais le grand nombre de mes amis, qui, me serrant étroitement dans leurs bras, rivalisaient d’empressement pour me souhaiter un voyage et un retour heureux. C’est ainsi que j’atteignis la chaîne des Alpes ; leur ascension fut pour moi rapide et aisée, un chemin ayant été creusé dans la neige pour faciliter la traversée, entre les parois de précipices effrayants des deux côtés.

 

Sidoine Apollinaire, Correspondance, I, 5, 1-2,
texte établi et traduit par André Loyen,
« C.U.F. – série latine », Les Belles Lettres, 1970 (2023)