En voyage avec Jérôme (Jour 5)

1 août 2025
Image :
Image : En voyage avec Jérôme
Texte :

L’été est là, et avec lui la possibilité du départ, du chemin à suivre, de l’horizon à rejoindre. Pour accompagner la saison, La Vie des Classiques vous propose une série de textes antiques autour du voyage, réel ou imaginaire, terrestre ou spirituel, tantôt éprouvant, tantôt initiatique. Des errances d’Io aux haltes d’Horace, de la quête du Nil racontée par Hérodote aux traversées d’Apollonios de Rhodes, en passant par les lettres de Jérôme et de Sidoine Apollinaire, ces extraits choisis vous feront parcourir le monde antique au rythme de celles et ceux qui l’ont foulé, rêvé ou fui. Chaque semaine, un ou deux auteur(s), des textes, cinq étapes. Bonnes pérégrinations !

Dans sa Lettre CVIII, rédigée peu après la mort de Paule, Jérôme (v. 345-420) rend hommage à cette aristocrate romaine convertie au christianisme, qui quitta tout pour parcourir les lieux saints et finir sa vie à Bethléem. À la fois oraison funèbre et récit de pèlerinage, le lettre de cette semaine trace le portrait d’une femme audacieuse, passionnée et infatigable, dont la ferveur transforme chaque étape de son voyage en acte de foi. Jérusalem, Nazareth, les déserts d’Égypte ou les grottes des prophètes : à travers ces lignes, c’est tout un monde biblique qui reprend vie sous la plume de l’un des penseurs les plus influents de la chrétienté.

 

Paule pousse jusqu’en Égypte, puis elle revient à Bethléem, où elle fait construire un monastère ainsi qu’un abri pour les pèlerins… et dont elle ne repartira plus.

14. Transibo ad Aegyptum et in Sochoth, atque apud fontem Samson, quem de molari maxillae dente produxit, subsistam parumper ; et arentia ora colluam, ut refocillatus uideam Morasthim, sepulcrum quondam Micheae prophetae, nunc Ecclesiam. Et ex latere derelinquam Chorreos, et Gettheos, Maresa, Idumaeam. et Lachis ; et per arenas mollissimas pergentium uestigia subtrahentes, latamque eremi uastitatem, ueniam ad Aegypti fluuium Sior, qui interpretatur turbidus, et quinque Aegypti transeam ciuitates, quae loquuntur lingua Chananitide, et terram Gessen, et campos Taneos, in quibus fecit Deus mirabilia, et urbem No, quae postea uersa est in Alexandriam, et oppidum Domini Nitriam, in quo purissimo uirtutum nitro sordes lauantur quotidie plurimorum. Quod cum uidisset, occurrente sibi sancto et uenerabili Episcopo Isidoro Confessore, et turbis innumerabilibus Monachorum, ex quibus multos Sacerdotalis et Leuiticus sublimabat gradus ; laetabatur quidem ad gloriam Domini, sed se indignam tanto honore fatebatur. Quid ergo narrem Macarios Arsenios, Serapionas, et reliqua columnarum Christi nomina ? 

Cuius non intrauit cellulam ? Quorum pedibus non aduoluta est ? Per singulos sanctos Christum se uidere credebat, et quidquid in illos contulerat, in Dominum se contulisse laetabatur. Mirus ardor, et uix in femina credibilis fortitudo. Oblita sexus et fragilitatis corporeae, inter tot millia Monachorum cum puellis suis habitare cupiebat. Et forsitan cunctis eam suscipientibus, impetrasset, ni maius sanctorum Locorum retraxisset desiderium. Atque propter feruentissimos aestus de Pelusio Maiomam nauigatione perueniens, tanta uelocitate reuersa est, ut auem putares. Nec multo post in sancta Bethleem mansura perpetuo, angusto per triennium mansit hospitiolo, donec exstrueret cellulas, ac monasteria, et diuersorum peregrinorum iuxta uiam conderet mansiones, in qua Maria et Ioseph hospitium non inuenerant. Huc usque iter ejus descriptum sit, quod multis uirginibus et filia comite, peragrauit.

14. Je vais passer en Égypte, et à Soccoth, auprès de la source de Samson, qu’il tira de la dent molaire de la mâchoire d’âne ; je m’arrêterai quelque peu pour humecter ma bouche altérée ; ainsi rafraîchi, je pourrai visiter Morasthi, où fut jadis le tombeau du prophète Michée ; à présent il y a une église. Je laisserai de côté Horréens et Géthéens, Maresa, l’Idumée et Lachis. Par des plages de sables mouvants qui se dérobent sous les pas des voyageurs, puis par un grand désert désolé, j’arriverai à la rivière d’Égypte Sior, dont le sens est « trouble », je traverserai les cinq villes d’Égypte qui parlent le cananéen, la terre de Gessen, les plaines de Tanis « où Dieu fit des miracles », la ville de Nô, qui devint plus tard Alexandrie, enfin la forteresse du Seigneur, la Nitrie, où le nitre très purifiant des vertus lave chaque jour les souillures de beaucoup d’âmes. Elle la visite ; le saint et vénérable personnage, l’évêque et confesseur Isidore, étant allé à sa rencontre, ainsi que des troupes innombrables de moines, dont beaucoup étaient honorés des ordres du sacerdoce et du diaconat. Elle s’en réjouissait pour la gloire du Seigneur, mais se déclarait indigne de tels honneurs. Pourquoi narrer les noms des Macaire, des Arsès, des Sérapion, et des autres colonnes du Christ ?

De qui n’a-t-elle pas pénétré la cellule ? aux pieds de qui ne s’est-elle pas jetée ? À travers chacun des saints, elle croyait voir le Christ, et tout ce qu’elle leur apportait, c’est au Seigneur qu’elle se félicitait de l’avoir apporté. Merveilleuse ardeur, et courage à peine croyable chez une femme ! Oublieuse de son sexe et de sa fragilité physique, elle souhaitait d’habiter, ainsi que les jeunes filles qui l’accompagnaient, parmi tant de milliers de moines. Et peut-être l’eût-elle obtenu, car tous étaient disposés à l’accueillir, si, plus fort, son désir des Saints Lieux ne l’en avait empêchée. Aussi, à cause des chaleurs torrides, elle revint par mer de Péluse à Maiouma, et avec une telle rapidité qu’on lui eût cru des ailes. Bientôt après, ayant décidé de résider pour toujours dans la sainte Bethléem, elle habita trois ans dans une étroite demeure, le temps de construire des cellules et des monastères, puis de fonder près de la route un abri pour les pèlerins, parce que Marie et Joseph n’avaient pas trouvé de gîte. Ici finit la description du pèlerinage qu’elle accomplit, en compagnie de nombreuses religieuses et de sa fille.

 

Jérôme (Saint), Correspondance, CVIII, 14,
texte établi et traduit par Jérôme Labourt,
« C.U.F. – série latine », Les Belles Lettres, 1955 (2002)