En voyage avec Jérôme (Jour 3)

30 juillet 2025
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Image : En voyage avec Jérôme
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L’été est là, et avec lui la possibilité du départ, du chemin à suivre, de l’horizon à rejoindre. Pour accompagner la saison, La Vie des Classiques vous propose une série de textes antiques autour du voyage, réel ou imaginaire, terrestre ou spirituel, tantôt éprouvant, tantôt initiatique. Des errances d’Io aux haltes d’Horace, de la quête du Nil racontée par Hérodote aux traversées d’Apollonios de Rhodes, en passant par les lettres de Jérôme et de Sidoine Apollinaire, ces extraits choisis vous feront parcourir le monde antique au rythme de celles et ceux qui l’ont foulé, rêvé ou fui. Chaque semaine, un ou deux auteur(s), des textes, cinq étapes. Bonnes pérégrinations !

Dans sa Lettre CVIII, rédigée peu après la mort de Paule, Jérôme (v. 345-420) rend hommage à cette aristocrate romaine convertie au christianisme, qui quitta tout pour parcourir les lieux saints et finir sa vie à Bethléem. À la fois oraison funèbre et récit de pèlerinage, le lettre de cette semaine trace le portrait d’une femme audacieuse, passionnée et infatigable, dont la ferveur transforme chaque étape de son voyage en acte de foi. Jérusalem, Nazareth, les déserts d’Égypte ou les grottes des prophètes : à travers ces lignes, c’est tout un monde biblique qui reprend vie sous la plume de l’un des penseurs les plus influents de la chrétienté.

 

Accho, Césarée, Lydda, Joppé, Emmaüs, Gabaon, Jérusalem… Paule arpente les lieux saints, les Évangiles en mémoire et les larmes aux yeux, portée par un amour absolu du Christ.

8. Omitto Syriae Coeles et Phoenicis iter – neque enim odoeporicum eius disposui scribere –, ea tantum loca nominabo, quae sacris Voluminibus continentur. Beryto Romana colonia, et antiqua urbe Sidone derelicta, in Sareptae littore Eliae est ingressa turriculam, in qua adorato Domino Saluatore, per arenas Tyri, in quibus genua Paulus fixit, peruenit Acco, quae nunc Ptolemais dicitur : et per campos Mageddo, Iosiae necis conscios, intrauit terram Philisthiim. Mirata ruinas Dor, urbis quondam potentissimae ; et uersa uice, Stratonis turrim ab Herode rege Iudaeae in honorem Caesaris Augusti Caesaream nuncupatam, in qua Cornelii domum, Christi uidit Ecclesiam, et Philippi aediculas, et cubicula quatuor uirginum prophetarum. Deinde Antipatrida, semirutum oppidulum, quod de patris nomine Herodes uocauerat ; et Lyddam uersam in Diospolim, Dorcadis, atque Aeneae resurrectione, ac sanitate inclytam. Haud procul ab ea Arimathiam uiculum Ioseph, qui Dominum sepeliuit ; et Nobe urbem quondam sacerdotum, nunc tumulum occisorum. Ioppen quoque fugientis portum Ionae ; et – ut aliquid perstringam de fabulis Poetarum – religatae ad saxum  Andromedae spectatricem. Repetitoque itinere, Nicopolim, quae prius Emmaus uocabatur, apud quam in fractione panis cognitus Dominus, Cleophae domum in Ecclesiam dedicauit. Atque inde proficiscens ascendit Bethoron – inferiorem et superiorem –, urbes a Salomone conditas, sed uaria postea bellorum tempestate deletas : ad dexteram aspiciens Aialon, et Gabaon, ubi Iesus filius Naue contra quinque reges dimicans, soli imperauit et lunae : et Gabaonitas ob dolos et insidias foederis impetrati, in aquarios, lignariosque damnauit. In Gabaa urbe usque ad solum diruta, paululum substitit, recordata peccati eius, et concubinae in frusta diuisae, et tribus Beniamin  trecentos uiros, propter Apostolum reseruatos.

9. Quid diu moror ? Ad laeuam mausoleo Helenae derelicto, quae Adiabenorum regina in fame populum frumento iuuauerat, ingressa est Hierosolymam, urbem τριώνυμον : Iebus, Salem, Hierusalem, quae ab Aelio postea Adriano de ruinis et cineribus ciuitatis in Aeliam suscitata est. Cumque proconsule Palaestinae, qui familiam eius optime nouerat, praemissis apparitoribus iussisset parari praetorium elegit humilem cellulam et cuncta loca tanto ardore ac studio circumiuit, ut, nisi ad reliqua festinaret, a primis non posset abduci, prostrataque ante crucem, quasi pendentem Dominum cerneret, adorabat. Ingressa sepulchrum Resurrectionis osculabatur lapidem, quem ab ostio sepulchri amouerat angelus, et ipsum corporis locum, in quo Dominus iacuerat, quasi sitiens desideratas aquas fide, ore lambebat. Quid ibi lacrimarum, quantum gemitum doloris effuderit, testis est cuncta Hierosolyma, testis ipse Dominus, quem rogabat. Unde egrediens ascendit Sion, quae in « arcem » uel « speculam » uertitur. Hanc urbem quondam expugnauit et aedificauit Dauid. De expugnata scribitur : Vae « tibi, ciuitas Arihel »  – id est « leo Dei » et quondam fortissima –, « quam expugnauit Dauid » ; de ea, quae aedificata est : « Fundamenta eius in montibus sanctis ; diligit Dominus portas Sion super omnia tabernacula Iacob », non eas portas, quas hodie cernimus in fauillam et cinerem dissolutas, sed portas, quibus infernus non praeualet, per quas credentium ad Christum ingreditur multitudo. Ostendebatur illic columna ecclesiae porticum sustinens, infecta cruore Domini, ad quam uinctus dicitur flagellatus. Monstrabatur locus, ubi super centum uiginti animas Spiritus Sanctus descendisset, ut Iohelis uaticinium conpleretur.

Je ne dis rien de son itinéraire à travers la Célésyrie et la Phénicie – car je n’ai pas dessein d’écrire son journal de voyage – je ne vais nommer que les localités qui sont mentionnées dans les saints livres. Béryte, colonie romaine, et la vieille ville de Sidon dépassées, elle entra dans la petite tour d’Élie, sur le rivage de Sarepta, puis, après avoir adoré le Seigneur et Sauveur en parcourant les plages de Tyr, où Paul avait prié à genoux, elle parvint à Accho, qu’on appelle à présent Ptolémaïs, et à travers les champs de Mageddo, témoins de la mort de Josias, elle pénétra dans le pays des Philistins. Elle contempla les ruines de Dor, ville jadis très puissante, et ensuite la Tour de Straton, qu’Hérode, roi de Judée, nomma Césarée, en l’honneur de César Auguste. Là elle vit la maison de Corneille transformée en église du Christ ; la modeste demeure de Philippe avec la chambre de ses quatre filles vierges, les prophétesses. Puis Antipatris, menue bourgade à demi ruinée, à qui Hérode avait donné le nom de son père, puis Lydda, changée en Diospolis, célèbre par la résurrection et la guérison de Dorcas et d’Énée, qui n’est pas éloignée d’Arimathie, le village de Joseph qui ensevelit le Seigneur, et Nob, jadis ville sacerdotale, maintenant tombeau de ceux qui furent tués ; enfin Joppé, le port de Jonas le fugitif, qui également – pour effleurer quelque peu les fables des poètes – vit Andromède, attachée sur son rocher. Reprenant sa route, elle alla à Nicopolis qui, auparavant, s’appelait Emmaüs, près de laquelle le Seigneur, reconnu à la fraction du pain, consacra en église la maison de Cléophas. Partant de là, elle monta à Bethoron – le bas et le haut – villes fondées par Salomon et détruites depuis par les diverses tempêtes que furent les guerres. Elle voyait à sa droite Aialon et Gabaon, où Josué, fils de Navé, luttant contre les cinq rois, commanda au soleil et à la lune, puis condamna les Gabaonites, à cause de l’alliance obtenue par ruse et par guet-apens, à devenir porteurs d’eau et bûcherons. Elle s’arrêta très peu à Gabaa rasée jusqu’au sol, en se souvenant de son péché, de la concubine coupée en morceaux et de la tribu de Benjamin, six cents hommes réservés, en vue de l’apôtre Paul.

Pourquoi m’arrêter plus longtemps ? Laissant à gauche le mausolée d’Hélène, reine d’Adiabène, qui lors d’une famine avait assisté le peuple par un don de froment, elle fit son entrée à Hierosolyma, la ville aux trois noms : Jébus, Salem, Jérusalem ; par la suite Aelius Adrianus ressuscita la cité de ses ruines et de ses cendres pour en faire Aelia. Le proconsul de Palestine, qui connaissait très bien la famille de Paule, avait dépêché ses appariteurs et fait préparer le prétoire. Mais elle préféra une humble cellule. Elle mit tant d’ardeur et de zèle à faire le tour de tous les Lieux Saints, qu’on ne pouvait l’arracher des premiers visités, sinon pour qu’elle se dirigeât en hâte vers les autres. Prosternée devant la Croix, elle adorait le Seigneur, comme si elle l’y contemplait suspendu. Entrée dans le sépulcre de l’Anastasis, elle baisait la pierre que l’ange avait écartée de la porte du sépulcre ; quant à l’endroit même où avait été déposé le corps du Seigneur, comme si sa foi eût été assoiffée des eaux désirées, elle n’en pouvait détacher ses lèvres. Que de larmes, que de gémissements douloureux elle y laissa échapper, tout Jérusalem en est témoin, et aussi le Seigneur lui-même, qu’elle suppliait. Au sortir de l’église, elle monta à Sion (qui se traduit par : citadelle ou observatoire). Cette ville fut jadis emportée d’assaut et reconstruite par David. De celle qu’il prit il est écrit : « Malheur à toi, cité d’Ariel » – c’est-à-dire : « lion de Dieu », jadis très forte – « qu’emporta d’assaut David » ; de celle qui fut construite il a été dit : « Ses fondations reposent sur les saintes collines ; le Seigneur préfère les portes de Sion à toutes les tentes de Jacob ». Il ne s’agit pas de ces portes que nous voyons aujourd’hui réduites en cendres et poussière, mais de ces autres portes, contre lesquelles ne prévaut pas l’enfer, et par lesquelles entre pour rejoindre le Christ la multitude des croyants. On montrait là une colonne soutenant le porche de l’église, teinte encore du sang du Christ, où, dit-on, il fut lié pendant sa flagellation ; on indiquait l’endroit où, sur cent vingt disciples, l’Esprit-Saint était descendu pour accomplir l’oracle de Joël.

 

Jérôme (Saint), Correspondance, CVIII, 8-9,
texte établi et traduit par Jérôme Labourt,
« C.U.F. – série latine », Les Belles Lettres, 1955 (2002)