En voyage avec Horace (Jour 3)

16 juillet 2025
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Image : En voyage avec Horace
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L’été est là, et avec lui la possibilité du départ, du chemin à suivre, de l’horizon à rejoindre. Pour accompagner la saison, La Vie des Classiques vous propose une série de textes antiques autour du voyage, réel ou imaginaire, terrestre ou spirituel, tantôt éprouvant, tantôt initiatique. Des errances d’Io aux haltes d’Horace, de la quête du Nil racontée par Hérodote aux traversées d’Apollonios de Rhodes, en passant par les lettres de Jérôme et de Sidoine Apollinaire, ces extraits choisis vous feront parcourir le monde antique au rythme de celles et ceux qui l’ont foulé, rêvé ou fui. Chaque semaine, un ou deux auteur(s), des textes, cinq étapes. Bonnes pérégrinations !

Horace (65-8 av. n. è.) raconte, dans le passage des Satires que nous vous proposons de lire cette semaine, un voyage réel effectué en compagnie de Mécène, Virgile et d’autres proches, entre Rome et Brindes. Avec humour et minutie, il note les contretemps, les rencontres, les haltes, les disputes et même un rendez-vous manqué, nous plongeant ainsi dans l’art de voyager à la romaine.

 

Dans la villa de Coccéius, Sarmentus et Cicirrus s’affrontent en bons mots. Puis le dîner tourne au désastre à Bénévent, dans un fracas de feu et de fumée.

Hinc nos Coccei recipit plenissima uilla,
quae super est Caudi cauponas. Nunc mihi paucis
Sarmenti Scurrae pugnam Messique Cicerri,
Musa, uelim memores et quo patre natus uterque
contulerit litis. Messi clarum genus Osci ;
Sarmenti domina exstat : ab his maioribus orti
ad pugnam uenere. Prior Sarmentus 'equi te
esse feri similem dico.' Ridemus, et ipse
Messius 'accipio,' caput et mouet. 'O tua cornu
ni foret exsecto frons,' inquit, 'quid faceres, cum
sic mutilus minitaris?' at illi foeda cicatrix
saetosam laeui frontem turpauerat oris.
Campanum in morbum, in faciem permulta iocatus,
pastorem saltaret uti Cyclopa rogabat :
nil illi larua aut tragicis opus esse cothurnis.
Multa Cicerrus ad haec : donasset iamne catenam
ex uoto Laribus, quaerebat ; scriba quod esset,
nilo deterius dominae ius esse ; rogabat
denique, cur umquam fugisset, cui satis una
farris libra foret, gracili sic tamque pusillo.
Prorsus iucunde cenam producimus illam.
Tendimus hinc recta Beneuentum, ubi sedulus hospes
paene macros arsit dum turdos uersat in igni.
Nam uaga per ueterem dilapso flamma culinam
uolcano summum properabat lambere tectum.
Conuiuas auidos cenam seruosque timentis
tum rapere atque omnis restinguere uelle uideres.

Nous sommes reçus ensuite dans la villa richement pourvue de Coccéius, située au-dessus des auberges de Caudium. Maintenant, à moi, Muse ; viens rappeler en peu de mots la lutte du bouffon Sarmentus et de Messius Cicirrus et de quels pères étaient nés les deux héros de la dispute. Messius est de la race illustre des Osques ; la maîtresse qu’a servie Sarmentus existe encore. Issus de tels aïeux, ils en viennent au combat. Et d’abord Sarmentus : « Je dis que tu ressembles, toi, au cheval sauvage. » Nous rions ; et Messius à son tour : « C’est entendu », et il secoue la tête. « Oh ! dit l’autre, si ton front n’avait pas eu sa corne coupée, que ne ferais-tu pas, puisque, ainsi mutilé, tu menaces ? » Le fait est que du côté gauche du visage, une cicatrice avait marqué de sa trace hideuse le front poilu de Messius. Après l’avoir raillé amplement sur le mal campanien, sur sa figure, Sarmentus le priait de danser le pas du Cyclope berger, disant qu’il n’aurait besoin ni d’un masque effrayant ni des cothurnes tragiques. Cicirrus n’était pas en reste : il demandait à l’autre, s’il avait, acquittant son vœu, donné sa chaîne en offrande aux dieux Lares : du fait qu’il était scribe, les droits de sa maîtresse n’étaient en rien diminués ; et, dernière question, pourquoi avait-il un jour pris la fuite, lui à qui suffisait une livre de blé, grêle et chétif comme il était ?

Voilà la manière tout à fait charmante dont nous prolongeons ce dîner. De là nous nous rendons tout droit à Bénévent où, dans son empressement, notre hôte faillit brûler en faisant tourner sur le feu des grives maigres. Car le foyer se défit et les feux de Vulcain répandus dans cette antique cuisine montaient déjà lécher le haut du toit. Vous eussiez vu alors les convives affamés et les esclaves tremblants enlever le dîner, puis se mettre tous en devoir d’éteindre le feu.

 

Horace, Satires, I, 5, v. 50-76,
texte établi et traduit par François Villeneuve,
« C.U.F. – série latine », Les Belles Lettres, 1932 (2023)