
L’été est là, et avec lui la possibilité du départ, du chemin à suivre, de l’horizon à rejoindre. Pour accompagner la saison, La Vie des Classiques vous propose une série de textes antiques autour du voyage, réel ou imaginaire, terrestre ou spirituel, tantôt éprouvant, tantôt initiatique. Des errances d’Io aux haltes d’Horace, de la quête du Nil racontée par Hérodote aux traversées d’Apollonios de Rhodes, en passant par les lettres de Jérôme et de Sidoine Apollinaire, ces extraits choisis vous feront parcourir le monde antique au rythme de celles et ceux qui l’ont foulé, rêvé ou fui. Chaque semaine, un ou deux auteur(s), des textes, cinq étapes. Bonnes pérégrinations !
Horace (65-8 av. n. è.) raconte, dans le passage des Satires que nous vous proposons de lire cette semaine, un voyage réel effectué en compagnie de Mécène, Virgile et d’autres proches, entre Rome et Brindes. Avec humour et minutie, il note les contretemps, les rencontres, les haltes, les disputes et même un rendez-vous manqué, nous plongeant ainsi dans l’art de voyager à la romaine.
À Anxur, Horace retrouve ses compagnons de voyage. Ils repartent vers Fundi, puis Formies, Sinuessa et enfin Capoue, où Virgile et Varius se joignent au groupe : que de beau monde !
Huc uenturus erat Maecenas optimus atque
Cocceius, missi magnis de rebus uterque
legati, auersos soliti conponere amicos.
Hic oculis ego nigra meis collyria lippus
inlinere. Interea Maecenas aduenit atque
Cocceius Capitoque simul Fonteius, ad unguem
factus homo, Antoni, non ut magis alter, amicus.
Fundos Aufidio Lusco praetore libenter
linquimus, insani ridentes praemia scribae,
praetextam et latum clauum prunaeque uatillum.
In Mamurrarum lassi deinde urbe manemus,
Murena praebente domum, Capitone culinam.
Postera lux oritur multo gratissima ; namque
Plotius et Varius Sinuessae Vergiliusque
occurrunt, animae, qualis neque candidiores
terra tulit neque quis me sit deuinctior alter.
O qui conplexus et gaudia quanta fuerunt.
Nil ego contulerim iucundo sanus amico.
Proxima Campano ponti quae uillula, tectum
praebuit et parochi, quae debent, ligna salemque.
Hinc muli Capuae clitellas tempore ponunt.
Lusum it Maecenas, dormitum ego Vergiliusque ;
namque pila lippis inimicum et ludere crudis.
Là devaient venir l’excellent Mécène et Coccéius, envoyés tous deux en ambassade pour de grands intérêts et accoutumés à rapprocher des amis divisés. Là, souffrant d’une ophtalmie, j’applique sur mes yeux un noir collyre : pendant ce temps arrivent Mécène et Coccéius, et, avec eux, Fontéius Capito, homme d’une perfection sans défaut, que nul ne dépasse dans l’amitié d’Antoine. Nous quittons sans regret Fundi sous la préture d’Aufidius Luscus, riant des insignes dont se pare la folle vanité de cet ancien scribe, de sa prétexte, de son laticlave, de sa cassolette à braise. Puis, bien las, nous faisons une halte prolongée dans la ville des Mamurras, où Murena nous fournit le logis et Capiton la cuisine.
Le jour suivant se lève, jour agréable au plus haut point : car à Sinuessa nous rejoignent Plotius, Varius, Virgile ; la terre n’a pas porté d’âmes plus pures, il n’est pas d’homme qui leur soit attaché plus que moi. Oh ! quels embrassements, quels transports de joie ! Tant que j’aurai mon bon sens, rien ne sera pour moi comparable au charme de l’amitié. Le petit relais voisin du pont Campanien nous offrit l’abri de son toit, et les pourvoyeurs publics le bois et le sel dus par eux. Ensuite, au moment voulu, nos mulets déposent leur double panier à Capoue. Mécène va jouer, Virgile et moi nous allons dormir, car le jeu de paume est l’ennemi des yeux et des estomacs malades.
Horace, Satires, I, 5, v. 27-49,
texte établi et traduit par François Villeneuve,
« C.U.F. – série latine », Les Belles Lettres, 1932 (2023)