
L’été est là, et avec lui la possibilité du départ, du chemin à suivre, de l’horizon à rejoindre. Pour accompagner la saison, La Vie des Classiques vous propose une série de textes antiques autour du voyage, réel ou imaginaire, terrestre ou spirituel, tantôt éprouvant, tantôt initiatique. Des errances d’Io aux haltes d’Horace, de la quête du Nil racontée par Hérodote aux traversées d’Apollonios de Rhodes, en passant par les lettres de Jérôme et de Sidoine Apollinaire, ces extraits choisis vous feront parcourir le monde antique au rythme de celles et ceux qui l’ont foulé, rêvé ou fui. Chaque semaine, un ou deux auteur(s), des textes, cinq étapes. Bonnes pérégrinations !
Au livre II de ses Histoires, Hérodote (480-425 av. n. è.) s’interroge sur l’origine mystérieuse du Nil et rapporte les récits contradictoires qu’il a collectés. Entre observation, récit d’exploration et rêverie géographique, l’enquête de cette semaine offre un aperçu précieux de la méthode – souvent surprenante – de celui que Cicéron a nommé le « père de l’Histoire ».
Hérodote arrive au bout de son raisonnement : a-t-il trouvé l’origine du Nil ?
Παρὰ δὲ τὴν πόλιν ῥέειν ποταμὸν μέγαν, ῥέειν δὲ ἀπὸ ἑσπέρης αὐτὸν πρὸς ἥλιον ἀνατέλλοντα, φαίνεσθαι δὲ ἐν αὐτῷ κροκοδείλους.
33. Ὁ μὲν δὴ τοῦ Ἀμμωνίου Ἐτεάρχου λόγος ἐς τοῦτό μοι δεδηλώσθω, πλὴν ὅτι ἀπονοστῆσαί τε ἔφασκε τοὺς Νασαμῶνας, ὡς οἱ Κυρηναῖοι ἔλεγον, καὶ ἐς τοὺς οὗτοι ἀπίκοντο ἀνθρώπους, γόητας εἶναι ἅπαντας. Τὸν δὲ δὴ ποταμὸν τοῦτον τὸν παραρρέοντα καὶ Ἐτέαρχος συνεϐάλλετο εἶναι Νεῖλον, καὶ δὴ καὶ ὁ λόγος οὕτω αἱρέει. Ῥέει γὰρ ἐκ Λιϐύης ὁ Νεῖλος καὶ μέσην τάμνων Λιϐύην· καὶ ὡς ἐγὼ συμϐάλλομαι τοῖσι ἐμφανέσι τὰ μὴ γινωσκόμενα τεκμαιρόμενος, τῷ Ἴστρῳ ἐκ τῶν ἴσων μέτρων ὁρμᾶται. Ἴστρος τε γὰρ ποταμὸς ἀρξάμενος ἐκ Κελτῶν καὶ Πυρήνης πόλιος ῥέει μέσην σχίζων τὴν Εὐρώπην (οἱ δὲ Κελτοὶ εἰσὶ ἔξω Ἡρακλέων στηλέων, ὁμουρέουσι δὲ Κυνησίοισι, οἳ ἔσχατοι πρὸς δυσμέων οἰκέουσι τῶν ἐν τῇ Εὐρώπῃ κατοικημένων)· τελευτᾷ δὲ ὁ Ἴστρος ἐς θάλασσαν ῥέων τὴν τοῦ Εὐξείνου πόντου διὰ πάσης Εὐρώπης, τῇ Ἰστρίην οἱ Μιλησίων οἰκέουσι ἄποικοι.
34. Ὁ μὲν δὴ Ἴστρος, ῥέει γὰρ δι᾽ οἰκεομένης, πρὸς πολλῶν γινώσκεται, περὶ δὲ τῶν τοῦ Νείλου πηγέων οὐδεὶς ἔχει λέγειν· ἀοίκητός τε γὰρ καὶ ἔρημος ἐστὶ ἡ Λιϐύη δι᾽ ἧς ῥέει. Περὶ δὲ τοῦ ῥεύματος αὐτοῦ, ἐπ᾽ ὅσον μακρότατον ἱστορεῦντα ἦν ἐξικέσθαι, εἴρηται. Ἐκδιδοῖ δὲ ἐς Αἴγυπτον, ἡ δὲ Αἴγυπτος τῆς ὀρεινῆς Κιλικίης μάλιστά κῃ ἀντίη κέεται· ἐνθεῦτεν δὲ ἐς Σινώπην τὴν ἐν τῷ Εὐξείνῳ πόντῳ πέντε ἡμερέων ἰθέα ὁδὸς εὐζώνῳ ἀνδρί· ἡ δὲ Σινώπη τῷ Ἴστρῳ ἐκδιδόντι ἐς θάλασσαν ἀντίον κέεται. Οὕτω τὸν Νεῖλον δοκέω διὰ πάσης [τῆς] Λιϐύης διεξιόντα ἐξισοῦσθαι τῷ Ἴστρῳ. Νείλου μέν νυν πέρι τοσαῦτα εἰρήσθω.
Le long de cette ville coulait un grand fleuve ; il venait du Couchant, il coulait vers le soleil levant ; on voyait dedans des crocodiles.
Arrêtons à ce point la relation de ce que racontait l’Ammonien Étéarchos ; ajoutons seulement qu’il disait, d’après les Cyrénéens, que les Nasamons étaient rentrés chez eux, et que les gens chez qui ils étaient allés étaient tous des sorciers. Ce fleuve qui coulait près de la ville, Étéarchos conjecturait que c’était le Nil ; et le raisonnement le démontre. Le Nil en effet vient de la Libye et la coupe par le milieu ; et, autant que je peux, par conjecture, me faire une idée de ce qu’on ne connaît pas d’après ce qui est manifeste, il part de la même distance que l’Istros. Ce dernier fleuve, dont le cours commence au pays des Celtes près de la ville Pyréné, fend l’Europe par le milieu (les Celtes sont en dehors des Colonnes d’Héraclès, ils sont limitrophes des Kynésiens, les derniers habitants de l’Europe du côté du Couchant) ; et, traversant toute l’Europe, il finit dans la mer du Pont-Euxin, à l’endroit où se trouve Istria, habitée par les colons de Milet.
L’Istros, coulant à travers des pays habités, est connu de beaucoup de gens, tandis que personne n’est en état de parler des sources du Nil, parce que la Libye, qu’il traverse, est inhabitée et déserte. J’ai dit ce que je sais sur son cours, aussi loin que mes recherches m’ont permis d’atteindre. Il débouche en Égypte, laquelle Égypte est à peu près en face de la Cilicie montagneuse ; de là jusqu’à Sinope sur le Pont-Euxin le trajet en ligne droite est de cinq journées pour un homme alerte ; et Sinope est en face du lieu où l’Istros se jette dans la mer. Ainsi, à mon avis, le Nil traverse toute la Libye et est égal à l’Istros. En voilà assez sur le Nil.
Hérodote, Histoires, II, 32-34,
texte établi et traduit par Philippe-Ernest Legrand,
« C.U.F. – série grecque », Les Belles Lettres, 1930 (2023)