En voyage avec Hérodote (Jour 4)

24 juillet 2025
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Image : En voyage avec Hérodote
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L’été est là, et avec lui la possibilité du départ, du chemin à suivre, de l’horizon à rejoindre. Pour accompagner la saison, La Vie des Classiques vous propose une série de textes antiques autour du voyage, réel ou imaginaire, terrestre ou spirituel, tantôt éprouvant, tantôt initiatique. Des errances d’Io aux haltes d’Horace, de la quête du Nil racontée par Hérodote aux traversées d’Apollonios de Rhodes, en passant par les lettres de Jérôme et de Sidoine Apollinaire, ces extraits choisis vous feront parcourir le monde antique au rythme de celles et ceux qui l’ont foulé, rêvé ou fui. Chaque semaine, un ou deux auteur(s), des textes, cinq étapes. Bonnes pérégrinations !

Au livre II de ses Histoires, Hérodote (480-425 av. n. è.) s’interroge sur l’origine mystérieuse du Nil et rapporte les récits contradictoires qu’il a collectés. Entre observation, récit d’exploration et rêverie géographique, l’enquête de cette semaine offre un aperçu précieux de la méthode – souvent surprenante – de celui que Cicéron a nommé le « père de l’Histoire ».

 

Changement de décor : cap à l’ouest, vers la Libye. Un roi raconte aux Cyrénéens l’expédition hasardeuse de jeunes Nasamons partis explorer le désert. Leur but : aller plus loin que quiconque.

32. Ἀλλὰ τάδε μὲν ἤκουσα ἀνδρῶν Κυρηναίων φαμένων ἐλθεῖν τε ἐπὶ τὸ Ἄμμωνος χρηστήριον καὶ ἀπικέσθαι ἐς λόγους Ἐτεάρχῳ τῷ Ἀμμωνίων βασιλέι, καί κως ἐκ λόγων ἄλλων ἀπικέσθαι ἐς λέσχην περὶ τοῦ Νείλου, ὡς οὐδεὶς αὐτοῦ οἶδε τὰς πηγάς, καὶ τὸν Ἐτέαρχον φάναι ἐλθεῖν κοτε παρ᾽ αὐτὸν Νασαμῶνας ἄνδρας· (τὸ δὲ ἔθνος τοῦτο ἐστὶ μὲν Λιϐυκόν, νέμεται δὲ τὴν Σύρτιν τε καὶ τὴν πρὸς ἠῶ χώρην τῆς Σύρτιος οὐκ ἐπὶ πολλόν)· ἀπικομένους δὲ τοὺς Νασαμῶνας καὶ εἰρωτωμένους εἴ τι ἔχουσι πλέον λέγειν περὶ τῶν ἐρήμων τῆς Λιϐύης, φάναι παρὰ σφίσι γενέσθαι ἀνδρῶν δυναστέων παῖδας ὑϐριστάς, τοὺς ἄλλα τε μηχανᾶσθαι ἀνδρωθέντας περισσὰ καὶ δὴ καὶ ἀποκληρῶσαι πέντε ἑωυτῶν ὀψομένους τὰ ἔρημα τῆς Λιϐύης, καὶ εἴ τι πλέον ἴδοιεν τῶν τὰ μακρότατα ἰδομένων. Τῆς γὰρ Λιϐύης τὰ μὲν κατὰ τὴν βορηίην θάλασσαν ἀπ᾽ Αἰγύπτου ἀρξάμενοι μέχρι Σολόεντος ἄκρης, ἣ τελευτᾷ τῆς Λιϐύης, παρήκουσι παρὰ πᾶσαν Λίϐυες καὶ Λιϐύων ἔθνεα πολλά, πλὴν ὅσον Ἕλληνες καὶ Φοίνικες ἔχουσι· τὰ δὲ ὑπὲρ θαλάσσης τε καὶ τῶν ἐπὶ θάλασσαν κατηκόντων ἀνθρώπων, [τὰ κατύπερθε] θηριώδης ἐστὶ ἡ Λιϐύη· τὰ δὲ κατύπερθε τῆς θηριώδεος ψάμμος τε ἐστὶ καὶ ἄνυδρος δεινῶς καὶ ἔρημος πάντων. Ἐκείνους ὦν τοὺς νεηνίας ἀποπεμπομένους ὑπὸ τῶν ἡλίκων, ὕδατί τε καὶ σιτίοισι εὖ ἐξηρτυμένους, ἰέναι τὰ πρῶτα μὲν διὰ τῆς οἰκεομένης, ταύτην δὲ διεξελθόντας ἐς τὴν θηριώδεα ἀπικέσθαι, ἐκ δὲ ταύτης τὴν ἔρημον διεξιέναι, τὴν ὁδὸν ποιευμένους πρὸς ζέφυρον ἄνεμον. Διεξελθόντας δὲ χῶρον πολλὸν ψαμμώδεα καὶ ἐν πολλῇσι ἡμέρῃσι ἰδεῖν δή κοτε δένδρεα ἐν πεδίῳ πεφυκότα, καί σφεας προσελθόντας ἅπτεσθαι τοῦ ἐπεόντος ἐπὶ τῶν δενδρέων καρποῦ, ἁπτομένοισι δέ σφι ἐπελθεῖν ἄνδρας μικρούς, μετρίων ἐλάσσονας ἀνδρῶν, λαϐόντας δὲ ἄγειν σφέας· φωνῆς δὲ οὔτε τι τῆς ἐκείνων τοὺς Νασαμῶνας γινώσκειν οὔτε τοὺς ἄγοντας τῶν Νασαμώνων. Ἄγειν τε δὴ αὐτοὺς δι᾽ ἑλέων μεγίστων, καὶ διεξελθόντας ταῦτα ἀπικέσθαι ἐς πόλιν ἐν τῇ πάντας εἶναι τοῖσι ἄγουσι τὸ μέγαθος ἴσους, χρῶμα δὲ μέλανας.

Voici toutefois ce que j’ai entendu de la bouche de Cyrénéens ; ils s’étaient rendus, disaient-ils, à l’oracle d’Ammon, et étaient entrés en conversation avec Étéarchos, le roi des Ammoniens ; après avoir parlé d’autres sujets, on en était venu à s’entretenir du Nil, à dire que personne n’en connaissait les sources. Étéarchos raconta qu’il avait eu un jour la visite de Nasamons (c’est un peuple libyen qui habite les bords de la Syrte et le territoire situé à l’est, sur une petite étendue); il avait demandé à ces visiteurs Nasamons s’ils pouvaient lui en dire plus qu’il n’en savait sur les déserts de Libye; et ils avaient répondu qu’il y avait eu chez eux de jeunes fous, fils de grands personnages, qui, parvenus à l’âge d’homme, avaient imaginé entre autres extravagances de tirer au sort cinq d’entre eux pour aller voir les déserts de Libye et tâcher de pousser leur inspection plus avant que ceux qui étaient allés le plus loin. Car, en Libye, les bords de la mer qui la limite vers le nord, à partir de l’Égypte jusqu’au cap Soloeis qui marque la fin du continent libyen, sont habités d’un bout à l’autre par des hommes de race libyenne divisés en nombreuses peuplades, sauf les parties occupées par des Grecs et des Phéniciens; au-dessus de la zone maritime et des établissements des hommes qui touchent à la mer, la Libye est peuplée de bêtes sauvages; mais, au-dessus de la zone des bêtes, ce n’est que sable, aridité terrible, désert absolu. Nos jeunes gens donc, délégués par leurs camarades avec de bonnes provisions d’eau et de vivres, cheminèrent d’abord à travers la zone habitée ; puis, après l’avoir traversée, atteignirent celle des bêtes sauvages ; et, au sortir de celle-là, firent route à travers le désert, marchant face au zéphyr. Après qu’ils eurent traversé une grande étendue de pays sablonneux, en beaucoup de journées, ils virent enfin des arbres qui poussaient dans une plaine; ils s’approchèrent, et se mirent à cueillir les fruits que ces arbres portaient ; mais, pendant qu’ils les cueillaient, ils furent assaillis par de petits hommes, d’une taille inférieure à la moyenne; ces hommes se saisirent d’eux et les emmenèrent; les Nasamons ne comprenaient rien de leur langue, ni ceux qui les emmenaient de la langue des Nasamons. On les emmena à travers de très vastes marécages ; et, après la traversée de ces marécages, ils arrivèrent à une ville où tous les hommes étaient de même taille que leurs ravisseurs, et noirs de peau.

 

Hérodote, Histoires, II, 32
texte établi et traduit par Philippe-Ernest Legrand,
« C.U.F. – série grecque », Les Belles Lettres, 1930 (2023)