
L’été est là, et avec lui la possibilité du départ, du chemin à suivre, de l’horizon à rejoindre. Pour accompagner la saison, La Vie des Classiques vous propose une série de textes antiques autour du voyage, réel ou imaginaire, terrestre ou spirituel, tantôt éprouvant, tantôt initiatique. Des errances d’Io aux haltes d’Horace, de la quête du Nil racontée par Hérodote aux traversées d’Apollonios de Rhodes, en passant par les lettres de Jérôme et de Sidoine Apollinaire, ces extraits choisis vous feront parcourir le monde antique au rythme de celles et ceux qui l’ont foulé, rêvé ou fui. Chaque semaine, un ou deux auteur(s), des textes, cinq étapes. Bonnes pérégrinations !
Au livre II de ses Histoires, Hérodote (480-425 av. n. è.) s’interroge sur l’origine mystérieuse du Nil et rapporte les récits contradictoires qu’il a collectés. Entre observation, récit d’exploration et rêverie géographique, l’enquête de cette semaine offre un aperçu précieux de la méthode – souvent surprenante – de celui que Cicéron a nommé le « père de l’Histoire ».
Hérodote remonte le Nil, observe ses rives, note les obstacles, les habitants, les étapes. Une progression méthodique, au plus près du réel.
Ἀπὸ Ἐλεφαντίνης πόλιος ἄνω ἰόντι ἄναντες ἐστὶ χωρίον· ταύτῃ ὦν δεῖ τὸ πλοῖον διαδήσαντας ἀμφοτέρωθεν κατά περ βοῦν πορεύεσθαι· ἢν δὲ ἀπορραγῇ τὸ πλοῖον οἴχεται φερόμενον ὑπὸ ἰσχύος τοῦ ῥόου. Τὸ δὲ χωρίον τοῦτο ἐστὶ ἐπ᾽ ἡμέρας τέσσερας πλόος, σκολιὸς δὲ ταύτῃ κατά περ ὁ Μαίανδρος ἐστὶ ὁ Νεῖλος· σχοῖνοι δὲ δυώδεκα εἰσὶ οὗτοι τοὺς δεῖ τούτῳ τῷ τρόπῳ διεκπλῶσαι. Καὶ ἔπειτα ἀπίξεαι ἐς πεδίον λεῖον, ἐν τῷ νῆσον περιρρέει ὁ Νεῖλος· Ταχομψὼ οὔνομα αὐτῇ ἐστι· οἰκέουσι δὲ τὰ ἀπὸ Ἐλεφαντίνης ἄνω Αἰθίοπες ἤδη καὶ τῆς νήσου τὸ ἥμισυ, τὸ δὲ ἥμισυ Αἰγύπτιοι. Ἔχεται δὲ τῆς νήσου λίμνην μεγάλη, τὴν πέριξ νομάδες Αἰθίοπες νέμονται· τὴν διεκπλώσας ἐς τοῦ Νείλου τὸ ῥέεθρον ἥξεις, τὸ ἐς τὴν λίμνην ταύτην ἐκδιδοῖ. Καὶ ἔπειτα ἀποϐὰς παρὰ τὸν ποταμὸν ὁδοιπορίην ποιήσεαι ἡμερέων τεσσεράκοντα· σκόπελοί τε γὰρ ἐν τῷ Νείλῳ ὀξέες ἀνέχουσι καὶ χοιράδες πολλαί εἰσι, δι᾽ ὧν οὐκ οἷά τε ἐστὶ πλέειν. Διεξελθὼν δὲ ἐν τῇσι τεσσεράκοντα ἡμέρῃσι τοῦτο τὸ χωρίον, αὖτις ἐς ἕτερον πλοῖον ἐσϐὰς δυώδεκα ἡμέρας πλεύσεαι, καὶ ἔπειτα ἥξεις ἐς πόλιν μεγάλην τῇ οὔνομα ἐστὶ Μερόη. Λέγεται δὲ αὕτη ἡ πόλις εἶναι μητρόπολις τῶν ἄλλων Αἰθιόπων· οἱ δ᾽ ἐν ταύτῃ Δία θεῶν καὶ Διόνυσον μούνους σέϐονται, τούτους τε μεγάλως τιμῶσι· καί σφι μαντήιον Διὸς κατέστηκε· στρατεύονται δὲ ἐπεάν σφεας ὁ θεὸς οὗτος κελεύῃ διὰ θεσπισμάτων, καὶ τῇ ἂν κελεύῃ, ἐκεῖσε.
À partir d’Éléphantine, en remontant, on trouve un pays escarpé ; pour avancer, il faut attacher le bateau des deux côtés, comme un bœuf ; s’il échappe à ses liens, il est emporté par la violence du courant. La traversée de cette zone demande quatre jours de navigation ; le Nil y est sinueux comme le Méandre ; c’est une distance de douze schœnes qu’il faut franchir ainsi. Vous arriverez ensuite à une plaine unie, dans laquelle le Nil renferme une île ; cette île a nom Tachompso ; à partir d’Éléphantine, en remontant, habitent déjà des Éthiopiens ; ils occupent une moitié de l’île, et les Égyptiens l’autre moitié. À cette île fait suite un vaste lac, autour duquel circulent des Éthiopiens nomades ; après l’avoir traversé, vous rejoindrez le cours du Nil, qui se jette dans ce lac. Vous quitterez ensuite votre bateau et cheminerez le long du fleuve pendant quarante jours ; car dans cette partie du Nil émergent des rochers aigus, et il y a beaucoup de récifs à fleur d’eau, à travers lesquels la navigation est impossible. Après avoir traversé dans les quarante jours cette région, vous remonterez dans un autre bateau et naviguerez douze jours, au bout desquels vous arriverez à une grande ville appelée Méroé. Cette ville est, dit-on, la métropole des autres Éthiopiens ; ils n’y vénèrent parmi les dieux que Zeus et Dionysos, à qui ils rendent de grands honneurs ; il y a chez eux un sanctuaire prophétique de Zeus ; ils entrent en campagne quand ce dieu leur en donne l’ordre par ses oracles, et portent la guerre où il le leur ordonne.
Hérodote, Histoires, II, 29,
texte établi et traduit par Philippe-Ernest Legrand,
« C.U.F. – série grecque », Les Belles Lettres, 1930 (2023)