En voyage avec Hérodote (Jour 1)

21 juillet 2025
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Image : En voyage avec Hérodote
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L’été est là, et avec lui la possibilité du départ, du chemin à suivre, de l’horizon à rejoindre. Pour accompagner la saison, La Vie des Classiques vous propose une série de textes antiques autour du voyage, réel ou imaginaire, terrestre ou spirituel, tantôt éprouvant, tantôt initiatique. Des errances d’Io aux haltes d’Horace, de la quête du Nil racontée par Hérodote aux traversées d’Apollonios de Rhodes, en passant par les lettres de Jérôme et de Sidoine Apollinaire, ces extraits choisis vous feront parcourir le monde antique au rythme de celles et ceux qui l’ont foulé, rêvé ou fui. Chaque semaine, un ou deux auteur(s), des textes, cinq étapes. Bonnes pérégrinations !

Au livre II de ses Histoires, Hérodote (480-425 av. n. è.) s’interroge sur l’origine mystérieuse du Nil et rapporte les récits contradictoires qu’il a collectés. Entre observation, récit d’exploration et rêverie géographique, l’enquête de cette semaine offre un aperçu précieux de la méthode – souvent surprenante – de celui que Cicéron a nommé le « père de l’Histoire ».

 

Hérodote interroge Égyptiens, Libyens et Grecs : d’où vient le Nil ? Les réponses sont rares, parfois fantasques. Le scribe de Saïs, lui, évoque des gouffres insondables…

28. […] Τοῦ δὲ Νείλου τὰς πηγὰς οὔτε Αἰγυπτίων οὔτε Λιϐύων οὔτε Ἑλλήνων τῶν ἐμοὶ ἀπικομένων ἐς λόγους οὐδεὶς ὑπέσχετο εἰδέναι, εἰ μὴ ἐν Αἰγύπτῳ ἐν Σάι πόλι ὁ γραμματιστὴς τῶν ἱρῶν χρημάτων τῆς Ἀθηναίης. Οὗτος δ᾽ ἔμοιγε παίζειν ἐδόκεε φάμενος εἰδέναι ἀτρεκέως. Ἔλεγε δὲ ὧδε, εἶναι δύο ὄρεα ἐς ὀξὺ τὰς κορυφὰς ἀπηγμένα, μεταξὺ Συήνης τε πόλιος κείμενα τῆς Θηϐαΐδος καὶ Ἐλεφαντίνης, οὐνόματα δὲ εἶναι τοῖσι ὄρεσι τῷ μὲν Κρῶφι τῷ δὲ Μῶφι· τὰς ὦν δὴ πηγὰς τοῦ Νείλου ἐούσας ἀϐύσσους ἐκ τοῦ μέσου τῶν ὀρέων τούτων ῥέειν, καὶ τὸ μὲν ἥμισυ τοῦ ὕδατος ἐπ᾽ Αἰγύπτου ῥέειν καὶ πρὸς βορέην ἄνεμον, τὸ δ᾽ ἕτερον ἥμισυ ἐπ᾽ Αἰθιοπίης τε καὶ νότου. Ὡς δὲ ἄϐυσσοί εἰσι αἱ πηγαί, ἐς διάπειραν ἔφη τούτου Ψαμμήτιχον Αἰγύπτου βασιλέα ἀπικέσθαι· πολλέων γὰρ αὐτὸν χιλιάδων ὀργυιέων πλεξάμενον κάλον κατεῖναι ταύτῃ καὶ οὐκ ἐξικέσθαι ἐς βυσσόν. Οὗτος μὲν δὴ ὁ γραμματιστής, εἰ ἄρα ταῦτα γινόμενα ἔλεγε, ἀπέφαινε, ὡς ἐμὲ κατανοέειν, δίνας τινὰς ταύτῃ ἐούσας ἰσχυρὰς καὶ παλιρροίην, οἷα [δὲ] ἐμϐάλλοντος τοῦ ὕδατος τοῖσι ὄρεσι, <ὥστε> μὴ δύνασθαι κατιεμένην καταπειρητηρίην ἐς βυσσὸν ἰέναι.

29. Ἄλλου δὲ οὐδενὸς οὐδὲν ἐδυνάμην πυθέσθαι, ἀλλὰ τοσόνδε μὲν ἄλλο ἐπὶ μακρότατον ἐπυθόμην, μέχρι μὲν Ἐλεφαντίνης πόλιος αὐτόπτης ἐλθών, τὸ δὲ ἀπὸ τούτου ἀκοῇ ἤδη ἱστορέων.

Sur les sources du Nil, aucun des Égyptiens, des Libyens ou des Grecs avec qui je me suis entretenu ne s’est targué d’être renseigné, sinon le scribe du trésor sacré d’Athéna à Saïs en Égypte. Mais il m’a eu tout l’air de plaisanter, en prétendant être renseigné avec exactitude. Voici ce qu’il disait : il y aurait, entre Syène, ville de la Thébaïde, et Éléphantine, deux montagnes dont les cimes se termineraient en pointes ; ces montagnes s’appelleraient l’une Crophi, l’autre Mophi ; les sources du Nil, qui seraient au fond d’abîmes, jailliraient d’entre ces montagnes ; la moitié de l’eau coulerait vers l’Égypte et le vent du Nord, l’autre moitié vers l’Éthiopie et le vent du Midi. Que ces sources soient des abîmes, le roi d’Égypte Psammétique, disait-il, en aurait fait l’épreuve ; il aurait fait tresser un câble long de plusieurs milliers d’orgyies et l’aurait fait jeter dedans sans atteindre le fond. Si ce que disait ce scribe est véritable, ce qui en ressort, autant que je comprenne, c’est qu’il y a en cet endroit, l’eau se brisant contre les rochers, de violents tourbillons et des remous, et que, conséquemment, une sonde qu’on y jette ne peut aller à fond.

De personne d’autre je n’ai rien pu apprendre ; mais voici d’autres informations que j’ai recueillies, s’étendant le plus loin possible ; je suis allé et j’ai vu de mes yeux jusqu’à la ville d’Éléphantine ; de l’au-delà je parle par ouï-dire et me suis informé en questionnant.

 

Hérodote, Histoires, II, 28-29,
texte établi et traduit par Philippe-Ernest Legrand,
« C.U.F. – série grecque », Les Belles Lettres, 1930 (2023)