
L’été est là, et avec lui la possibilité du départ, du chemin à suivre, de l’horizon à rejoindre. Pour accompagner la saison, La Vie des Classiques vous propose une série de textes antiques autour du voyage, réel ou imaginaire, terrestre ou spirituel, tantôt éprouvant, tantôt initiatique. Des errances d’Io aux haltes d’Horace, de la quête du Nil racontée par Hérodote aux traversées d’Apollonios de Rhodes, en passant par les lettres de Jérôme et de Sidoine Apollinaire, ces extraits choisis vous feront parcourir le monde antique au rythme de celles et ceux qui l’ont foulé, rêvé ou fui. Chaque semaine, un ou deux auteur(s), des textes, cinq étapes. Bonnes pérégrinations !
Transformée par Zeus en génisse pour échapper à la colère d’Héra, Io erre aux quatre coins du monde, tourmentée par un taon envoyé par la déesse. Dans le passage tiré du Prométhée enchaîné d’Eschyle (525-456 av. n. è.) que nous vous proposons de lire cette semaine, elle rencontre le Titan supplicié capable de lire l’avenir. Il lui révèle les étapes – et les dangers – de son vaste voyage.
Prométhée finit par revenir sur le chemin déjà parcouru par Io : il rappelle l’oracle de Dodone, le golfe qui portera désormais son nom. Le voyage devient dès lors histoire.
ΧΟ. – Εἰ μέν τι τῇδε λοιπὸν ἢ παρειμένον
ἔχεις γεγωνεῖν τῆς πολυφθόρου πλάνης,
λέγ᾽· εἰ δὲ πάντ᾽ εἴρηκας, ἡμῖν αὖ χάριν
δὸς ἥνπερ αἰτούμεσθα, μέμνησαι δέ που.
ΠΡ. – Τὸ πᾶν πορείας ἥδε τέρμ᾽ ἀκήκοεν.
Ὁπως δ᾽ ἂν εἰδῇ μὴ μάτην κλύουσά μου,
ἃ πρὶν μολεῖν δεῦρ᾽ ἐκμεμόχθηκεν φράσω,
τεκμήριον τοῦτ᾽ αὐτὸ δοὺς μύθων ἐμῶν.
Ὄχλον μὲν οὖν τὸν πλεῖστον ἐκλείψω λόγων,
πρὸς αὐτὸ δ᾽ εἶμι τέρμα σῶν πλανημάτων.
Ἐπεὶ γὰρ ἦλθες πρὸς Μολοσσὰ γάπεδα,
τὴν αἰπύνωτόν τ᾽ ἀμφὶ Δωδώνην, ἵνα
μαντεῖα θᾶκός τ᾽ ἐστὶ Θεσπρωτοῦ Διός,
τέρας τ᾽ ἄπιστον, αἱ προσήγοροι δρύες,
ὑφ᾽ ὧν σὺ λαμπρῶς κοὐδὲν αἰνικτηρίως
προσηγορεύθης ἡ Διὸς κλεινὴ δάμαρ
μέλλουσ᾽ ἔσεσθαι. Τῶνδε προσσαίνει σέ τι ;
ἐντεῦθεν οἰστρήσασα τὴν παρακτίαν
κέλευθον ᾖξας πρὸς μέγαν κόλπον ῾Ρέας,
ἀφ᾽ οὗ παλιμπλάγκτοισι χειμάζῃ δρόμοις·
χρόνον δὲ τὸν μέλλοντα πόντιος μυχός,
σαφῶς ἐπίστασ᾽, Ἰόνιος κεκλήσεται.
Τῆς σῆς πορείας μνῆμα τοῖς πᾶσιν βροτοῖς.
Σημεῖά σοι τάδ᾽ ἐστὶ τῆς ἐμῆς φρενός,
ὡς δέρκεται πλέον τι τοῦ πεφασμένου.
LE CORYPHÉE. – Si tu as encore à lui révéler un fait nouveau – ou oublié – de ses erreurs vagabondes, dis-le. Si tu as achevé, accorde-nous à notre tour la grâce que nous te demandons. Tu t’en souviens sans doute.
PROMÉTHÉE. – Elle a tout appris sur le terme de son voyage ; pour qu’elle sache maintenant que de moi elle n’entend pas de vains mots, je veux lui dire quelles peines elle a supporté avant d’arriver ici : je lui aurai ainsi donné un garant de mes paroles. – (À Io.) Je laisse de côté la grande masse des faits, pour en venir aussitôt à tes dernières erreurs. Une fois arrivée aux plaines des Molosses et à la croupe élevée de Dodone, où sont l’oracle et le siège de Zeus Thesprote, avec l’incroyable prodige des chênes parlants, qui, clairement et sans énigme, ont salué en toi celle qui devait être l’épouse glorieuse de Zeus – rien de tout cela ne flatte-t-il ta mémoire ? – tu t’es élancée, piquée du taon, par la route côtière, vers le golfe immense de Rhéa, d’où la tourmente qui t’emporte a ramené ici ta course vagabonde. Mais, pour les temps qui viendront, ce golfe marin sera, sache-le exactement, le golfe Ionien, et son nom rappellera ton passage à tous les mortels. Voilà pour te prouver que mon esprit perçoit plus que ce qui se voit.
Eschyle, Prométhée enchaîné, v. 819-843,
texte établi et traduit par Paul Mazon,
« C.U.F. – série grecque », Les Belles Lettres, 1920 (2022)