En voyage avec Apollonios de Rhodes (Jour 4)

7 août 2025
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Image : En voyage avec Apollonios de Rhodes & Simonide de Céos
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L’été est là, et avec lui la possibilité du départ, du chemin à suivre, de l’horizon à rejoindre. Pour accompagner la saison, La Vie des Classiques vous propose une série de textes antiques autour du voyage, réel ou imaginaire, terrestre ou spirituel, tantôt éprouvant, tantôt initiatique. Des errances d’Io aux haltes d’Horace, de la quête du Nil racontée par Hérodote aux traversées d’Apollonios de Rhodes, en passant par les lettres de Jérôme et de Sidoine Apollinaire, ces extraits choisis vous feront parcourir le monde antique au rythme de celles et ceux qui l’ont foulé, rêvé ou fui. Chaque semaine, un ou deux auteur(s), des textes, cinq étapes. Bonnes pérégrinations !

Cette semaine, place à la poésie ! Dans les passages que nous vous proposons de lire, Apollonios de Rhodes (IIIᵉ siècle av. n. è.) fait vivre à Jason et aux Argonautes des traversées épiques, entre roches mouvantes et jardins fabuleux. Simonide de Céos (VIᵉ siècle av. n. è.) donne quant à lui la parole à Danaé, dérivant sur la Méditerranée avec son fils Persée. Entre épopée et plainte, la mer livre ses secrets.

 

Les Hespérides reprennent forme humaine et racontent la venue d’un autre héros égaré par la soif : Héraclès, encore fumant de ses exploits, a frappé un rocher… et l’eau a jailli.

Ἐκ δέ νυ κείνων
δενδρέων, οἷαι ἔσαν, τοῖαι πάλιν ἔμπεδον αὔτως
ἐξέφανεν, θάμϐος περιώσιον. Ἔκφατο δ’ Αἴγλη
μειλιχίοις ἐπέεσσιν ἀμειϐομένη χατέοντας·

« Ἦ ἄρα δὴ μέγα πάμπαν ἐφ’ ὑμετέροισιν ὄνειαρ
δεῦρ’ ἔμολεν καμάτοισιν ὁ κύντατος, ὅς τις ἀπούρας
φρουρὸν ὄφιν ζωῆς παγχρύσεα μῆλα θεάων
οἴχετ’ ἀειράμενος· στυγερὸν δ’ ἄχος ἄμμι λέλειπται.
Ἤλυθε γὰρ χθιζός τις ἀνὴρ ὀλοώτατος ὕϐριν
καὶ δέμας, ὄσσε δέ οἱ βλοσυρῷ ὑπέλαμπε μετώπῳ,
νηλής· ἀμφὶ δὲ δέρμα πελωρίου ἕστο λέοντος
ὠμόν, ἀδέψητον· στιϐαρὸν δ’ ἔχεν ὄζον ἐλαίης
τόξα τε, τοῖσι πέλωρ τόδ’ ἀπέφθισεν ἰοϐολήσας.
Ἤλυθε δ’ οὖν κἀκεῖνος, ἅ τε χθόνα πεζὸς ὁδεύων,
δίψῃ καρχαλέος· παίφασσε δὲ τόνδ’ ἀνὰ χῶρον,
ὕδωρ ἐξερέων. Τὸ μὲν οὔ ποθι μέλλεν ἰδέσθαι·
ἥδε δέ τις πέτρη Τριτωνίδος ἐγγύθι λίμνης·
τὴν ὅ γ’, ἐπιφρασθεὶς ἢ καὶ θεοῦ ἐννεσίῃσιν,
λὰξ ποδὶ τύψεν ἔνερθε· τὸ δ’ ἀθρόον ἔϐλυσεν ὕδωρ.
Αὐτὰρ ὅ γ’, ἄμφω χεῖρε πέδῳ καὶ στέρνον ἐρείσας,
ῥωγάδος ἐκ πέτρης πίεν ἄσπετον, ὄφρα βαθεῖαν
νηδύν, φορϐάδι ἶσος, ἐπιπροπεσών ἐκορέσθη. »

Ὧς φάτο· τοὶ δ’ ἀσπαστὸν ἵνα σφίσι πέφραδεν Αἴγλη
πίδακα, τῇ θέον αἶψα κεχαρμένοι, ὄφρ’ ἐπέκυρσαν.
Ὡς δ’ ὁπότε στεινὴν περὶ χηραμὸν εἱλίσσονται
γειοτόροι μύρμηκες ὁμιλαδόν, ἢ ὅτε μυῖαι
ἀμφ’ ὀλίγην μέλιτος γλυκεροῦ λίϐα πεπτηυῖαι
ἄπλητον μεμάασιν ἐπήτριμοι· ὧς τότ’ ἀολλεῖς
πετραίῃ Μινύαι περὶ πίδακι δινεύεσκον.
Καί πού τις διεροῖς ἐπὶ χείλεσιν εἶπεν ἰανθείς·

« Ὦ πόποι, ἦ καὶ νόσφιν ἐὼν ἐσάωσεν ἑταίρους
Ἡρακλέης δίψῃ κεκμηότας. Ἀλλά μιν εἴ πως
δήοιμεν στείχοντα δι’ ἠπείροιο κιόντες. »

Alors, d’arbres qu’elles étaient, elles prirent de nouveau exactement leur aspect de naguère : étonnante merveille ! Aiglé, d’une voix douce, leur fit la réponse qu’ils espéraient :

« Ah ! certes, il est d’un bien grand secours dans vos épreuves, le scélérat qui vint ici, cet inconnu qui, après avoir ôté la vie au dragon placé en sentinelle, est parti avec les pommes en or massif des déesses et ne nous a laissé qu’une amère douleur. Oui, hier est arrivé un homme, redoutable entre tous par son insolence et sa stature ; ses yeux flambaient sous son front terrible, le sauvage ! Il était vêtu de la peau brute, non tannée, d’un énorme lion ; il tenait un solide tronc d’olivier et un arc avec lequel il fit périr ce monstre à coups de flèches. Bref, lui aussi est arrivé, comme quiconque chemine à pied sur cette terre, exaspéré par la soif. Il battait tout le pays en quête d’eau. Il ne devait en voir nulle part ; mais il y a ici un rocher, près du lac Triton : soit de sa propre initiative soit par une inspiration divine, il en frappa la base d’un coup de pied et en fit jaillir de l’eau en abondance. Alors, les deux mains et la poitrine appuyées contre le sol, il but à grands traits à la fente du rocher jusqu’à ce que, couché de tout son long, il eût rassasié sa vaste panse, comme une bête au pacage. »

À peine Aiglé eut-elle parlé que, dans la direction où elle leur avait montré la source bienvenue, ils couraient aussitôt, exultants, jusqu’au moment où ils la trouvèrent. Comme des fourmis, fouisseuses du sol, assiègent en masse l’étroite issue de leur trou, ou comme des mouches, agglutinées autour d’une gouttelette de miel sucré, s’affairent insatiablement, les unes contre les autres, de même alors la foule compacte des Minyens tournoyait autour de la source du rocher. Et l’un d’eux dut dire, dans sa joie, les lèvres humides :

« Ô merveille ! Tout loin qu’il est, c’est Héraclès qui a sauvé ses compagnons morts de soif. Ah ! si nous pouvions le rencontrer sur sa route en parcourant le pays ! »

Apollonios de Rhodes, Les Argonautiques, IV, 1428-1460,
texte établi par Francis Vian et traduit par Émile Delage,
« C.U.F. – série grecque », Les Belles Lettres, 1974 (2009)