
L’été est là, et avec lui la possibilité du départ, du chemin à suivre, de l’horizon à rejoindre. Pour accompagner la saison, La Vie des Classiques vous propose une série de textes antiques autour du voyage, réel ou imaginaire, terrestre ou spirituel, tantôt éprouvant, tantôt initiatique. Des errances d’Io aux haltes d’Horace, de la quête du Nil racontée par Hérodote aux traversées d’Apollonios de Rhodes, en passant par les lettres de Jérôme et de Sidoine Apollinaire, ces extraits choisis vous feront parcourir le monde antique au rythme de celles et ceux qui l’ont foulé, rêvé ou fui. Chaque semaine, un ou deux auteur(s), des textes, cinq étapes. Bonnes pérégrinations !
Cette semaine, place à la poésie ! Dans les passages que nous vous proposons de lire, Apollonios de Rhodes (IIIᵉ siècle av. n. è.) fait vivre à Jason et aux Argonautes des traversées épiques, entre roches mouvantes et jardins fabuleux. Simonide de Céos (VIᵉ siècle av. n. è.) donne quant à lui la parole à Danaé, dérivant sur la Méditerranée avec son fils Persée. Entre épopée et plainte, la mer livre ses secrets.
Plus loin dans le récit, les Argonautes, harassés de fatigue, cherchent de l’eau. Ils découvrent le jardin des Hespérides ravagé par le passage d’Héraclès. Orphée prend la parole.
Λυσσαλέοις δἤπειτ’ ἴκελοι κυσὶν ἀίσσοντες
πίδακα μαστεύεσκον· ἐπὶ ξηρὴ γὰρ ἔκειτο
δίψα δυηπαθίῃ τε καὶ ἄλγεσιν. Οὐδ’ ἐμάτησαν
πλαζόμενοι· ἷξον δ’ ἱερὸν πέδον, ᾧ ἔνι Λάδων
εἰσέτι που χθιζὸν παγχρύσεα ῥύετο μῆλα
χώρῳ ἐν Ἄτλαντος, χθόνιος ὄφις· ἀμφὶ δὲ Νύμφαι
Ἑσπερίδες ποίπνυον ἐφίμερον ἀείδουσαι.
Δὴ τότε γ’ ἤδη κεῖνος ὑφ’ Ἡρακλῆι δαϊχθεὶς
μήλειον βέϐλητο ποτὶ στύπος· οἰόθι δ’ ἄκρη
οὐρὴ ἔτι σκαίρεσκεν, ἀπὸ κρατὸς δὲ κελαινὴν
ἄχρις ἐπ’ ἄκνηστιν κεῖτ’ ἄπνοος· ἐν δὲ λιπόντων
ὕδρης Λερναίης χόλον αἵματι πικρὸν ὀιστῶν,
μυῖαι πυθομένοισιν ἐφ’ ἕλκεσι τερσαίνοντο.
Ἀγχοῦ δ’ Ἑσπερίδες, κεφαλαῖς ἔπι χεῖρας ἔχουσαι
ἀργυφέας ξανθῇσι, λίγ’ ἔστενον. Οἱ δ’ ἐπέλασσαν
ἄφνω ὁμοῦ· ταὶ δ’ αἶψα κόνις καὶ γαῖα, κιόντων
ἐσσυμένως, ἐγένοντο καταυτόθι. Nώσατο δ’ Ὀρφεὺς
θεῖα τέρα, στὰς δέ σφε παρηγορέεσκε λιτῇσιν·
« Δαίμονες ὦ καλαὶ καὶ ἐύφρονες, ἵλατ’, ἄνασσαι,
εἴ τ’ οὖν οὐρανίαις ἐναρίθμιοί ἐστε θεῇσιν,
εἴ τε καταχθονίαις, εἴ τ’ οἰοπόλοι καλέεσθε
Νύμφαι· ἴτ’, ὦ Νύμφαι, ἱερὸν γένος Ὠκεανοῖο,
δείξατ’ ἐελδομένοισιν ἐνωπαδὶς ἄμμι φανεῖσαι
ἤ τινα πετραίην χύσιν ὕδατος ἤ τινα γαίης
ἱερὸν ἐκϐλύοντα, θεαί, ῥόον, ᾧ ἀπὸ δίψαν
αἰθομένην ἄμοτον λωφήσομεν. Εἰ δέ κεν αὖτις
δή ποτ’ Ἀχαιίδα γαῖαν ἱκώμεθα ναυτιλίῃσιν,
δὴ τότε μυρία δῶρα μετὰ πρώτῃσι θεάων
λοιϐάς τ’ εἰλαπίνας τε παρέξομεν εὐμενέοντες. »
Ὧς φάτο λισσόμενος ἀδινῇ ὀπί· ταὶ δ’ ἐλέαιρον
ἐγγύθεν ἀχνυμένους. Καὶ δὴ χθονὸς ἐξανέτειλαν
ποίην πάμπρωτον, ποίης γε μὲν ὑψόθι μακροὶ
βλάστεον ὅρπηκες, μετὰ δ’ ἔρνεα τηλεθάοντα
πολλὸν ὑπὲρ γαίης ὀρθοσταδὸν ἠέξοντο·
Ἑσπέρη αἴγειρος, πτελέη δ’ Ἐρυθηὶς ἔγεντο,
Αἴγλη δ’ ἰτείης ἱερὸν στύπος.
Alors, pareils à des chiens enragés, ils couraient partout à la recherche d’une source ; car la soif desséchante les accablait à la suite de leurs fatigues et de leurs souffrances. Leurs errances ne furent pas vaines : ils parvinrent sur le sol sacré où, la veille encore, dit-on, Ladon, le dragon né de la terre, gardait les pommes en or massif dans le domaine d’Atlas, tandis que les Nymphes Hespérides officiaient à l’entour en d’aimables psalmodies. Maintenant, terrassé par Héraclès il était étendu contre le tronc du pommier ; seul, le bout de sa queue remuait encore ; mais, depuis la tête jusqu’à l’extrémité de sa noire échine, il gisait sans vie et, comme les flèches avaient imprégné son sang de l’amer venin de l’Hydre de Lerne, les mouches se desséchaient sur ses plaies putrides. Près de lui, les Hespérides se prenaient leur tête blonde dans leurs blanches mains en poussant des plaintes aiguës. Les héros survinrent tous ensemble, à l’improviste. Aussitôt, devant cette arrivée soudaine, elles se changèrent sur place en terre et en poussière. Mais Orphée remarqua ce prodige divin et, pour les héros, il les implorait par ces prières :
« Ô belles et bienveillantes divinités, soyez-nous propices, dames vénérables, que vous comptiez parmi les déesses du ciel ou celles des enfers, ou qu’on vous donne le nom de Nymphes, bergères du désert ! Oui, venez, ô Nymphes, race sacrée d’Océan ; pour répondre à nos vœux, montrez-nous, en paraissant à nos regards, soit quelque eau de roche soit, déesses, quelque rivière sacrée jaillie du sol, que nous puissions étancher le feu ardent de notre soif. Si, un jour enfin, nos navigations nous ramènent en terre achéenne, nous vous offrirons alors, parmi les premières des déesses, des présents à foison, des libations et des banquets, pour vous témoigner notre reconnaissance. »
Telle était la prière qu’il leur adressait d’une voix pressante et bientôt elles prenaient en pitié leurs souffrances. De terre, elles firent tout d’abord lever des herbes ; de ces herbes germaient de longues pousses qui montaient en l’air ; puis de jeunes arbres verdoyants croissaient, dressant leur fût bien au-dessus du sol : Hespéré devenait un peuplier, Érythéis un orme et Aiglé le tronc sacré d’un saule.
Apollonios de Rhodes, Les Argonautiques, IV, 1393-1428,
texte établi par Francis Vian et traduit par Émile Delage,
« C.U.F. – série grecque », Les Belles Lettres, 1974 (2009)