En voyage avec Apollonios de Rhodes (Jour 2)

5 août 2025
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Image : En voyage avec Apollonios de Rhodes & Simonide de Céos
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L’été est là, et avec lui la possibilité du départ, du chemin à suivre, de l’horizon à rejoindre. Pour accompagner la saison, La Vie des Classiques vous propose une série de textes antiques autour du voyage, réel ou imaginaire, terrestre ou spirituel, tantôt éprouvant, tantôt initiatique. Des errances d’Io aux haltes d’Horace, de la quête du Nil racontée par Hérodote aux traversées d’Apollonios de Rhodes, en passant par les lettres de Jérôme et de Sidoine Apollinaire, ces extraits choisis vous feront parcourir le monde antique au rythme de celles et ceux qui l’ont foulé, rêvé ou fui. Chaque semaine, un ou deux auteur(s), des textes, cinq étapes. Bonnes pérégrinations !

Cette semaine, place à la poésie ! Dans les passages que nous vous proposons de lire, Apollonios de Rhodes (IIIᵉ siècle av. n. è.) fait vivre à Jason et aux Argonautes des traversées épiques, entre roches mouvantes et jardins fabuleux. Simonide de Céos (VIᵉ siècle av. n. è.) donne quant à lui la parole à Danaé, dérivant sur la Méditerranée avec son fils Persée. Entre épopée et plainte, la mer livre ses secrets.

 

Colombe rescapée, clameurs de joie… puis l’effroi revient aussitôt : l’Argo est entraîné entre les roches, menacé de naufrage. La mer rugit, les rames ploient, les vagues s’affrontent. Quand tout semble perdu, une déesse surgit pour donner le coup de pouce décisif…

Ἔϐραχε δ’ αὐτὸς
Τῖφυς ἐρεσσέμεναι κρατερῶς· οἴγοντο γὰρ αὖτις
ἄνδιχα. Τοὺς δ' ἐλάοντας ἔχεν τρόμος, ὄφρα μιν αὐτὴ
πλημυρὶς παλίνορσος ἀνερχομένη κατένεικεν
εἴσω πετράων. Τότε δ' αἰνότατον δέος εἷλε
πάντας· ὑπὲρ κεφαλῆς γὰρ ἀμήχανος ἦεν ὄλεθρος.
Ἤδη δ' ἔνθα καὶ ἔνθα διὰ πλατὺς εἴδετο Πόντος,
καί σφισιν ἀπροφάτως ἀνέδυ μέγα κῦμα πάροιθεν
κυρτόν, ἀποτμῆγι σκοπιῇ ἴσον. Οἱ δ' ἐσιδόντες
ἤμυσαν λοξοῖσι καρήασιν, εἴσατο γάρ ῥα
νηὸς ὑπὲρ πάσης κατεπάλμενον ἀμφικαλύψειν·
ἀλλά μιν ἔφθη Τῖφυς ὑπ' εἰρεσίῃ βαρύθουσαν
ἀγχαλάσας, τὸ δὲ πολλὸν ὑπὸ τρόπιν ἐξεκυλίσθη.
Ἐκ δ' αὐτὴν πρύμνηθεν ἀνείρυσε τηλόθι νῆα
πετράων, ὑψοῦ δὲ μεταχρονίη πεφόρητο·
Εὔφημος δ' ἀνὰ πάντας ἰὼν βοάασκεν ἑταίρους
ἐμβαλέειν κώπῃσιν ὅσον σθένος, οἱ δ' ἀλαλητῷ
κόπτον ὕδωρ. Ὅσσον δ' ἂν ὑπείκαθε νηῦς ἐρέτῃσι,
δὶς τόσον ἂψ ἀπόρουσεν· ἐπεγνάμπτοντο δὲ κῶπαι
ἠύτε καμπύλα τόξα, βιαζομένων ἡρώων.
Ἔνθεν δ' αὐτίκ' ἔπειτα καταρρεπὲς ἔσσυτο κῦμα·
ἡ δ' ἄφαρ ὥς τε κύλινδρος ἐπέτρεχε κύματι λάβρῳ
προπροκαταΐγδην κοίλης ἁλός. Ἐν δ' ἄρα μέσσαις
Πληγάσι δινήεις εἶχεν ῥόος· αἱ δ' ἑκάτερθεν
σειόμεναι βρόμεον· πεπέδητο δὲ νήια δοῦρα.
Καὶ τότ' Ἀθηναίη στιβαρῆς ἀντέσπασε πέτρης
σκαιῇ, δεξιτερῇ δὲ διαμπερὲς ὦσε φέρεσθαι.
Ἡ δ' ἰκέλη πτερόεντι μετήορος ἔσσυτ' ὀιστῷ·
ἔμπης δ' ἀφλάστοιο παρέθρισαν ἄκρα κόρυμβα
νωλεμὲς ἐμπλήξασαι ἐναντίαι. Αὐτὰρ Ἀθήνη
Οὔλυμπόν δ' ἀνόρουσεν, ὅτ' ἀσκηθεῖς ὑπάλυξαν·
πέτραι δ' εἰς ἕνα χῶρον ἐπισχεδὸν ἀλλήλῃσι
νωλεμὲς ἐρρίζωθεν· ὃ δὴ καὶ μόρσιμον ἦεν
ἐκ μακάρων, εὖτ' ἄν τις ἰδὼν διὰ νηὶ περάσσῃ.

Tiphys lui-même leur cria de faire force de rames, car de nouveau les roches s’ouvraient en s’écartant. Ils ramèrent tout tremblants, jusqu’au moment où, de lui-même, le reflux à son retour entraîna le navire au milieu des rochers. Alors la plus terrible des épouvantes les saisit tous ; car, sur leur tête, inévitable, était la mort. Déjà, à droite et à gauche, apparaissait le Pont dans toute sa largeur, quand, à l’improviste, une énorme lame à la crête recourbée se dressa devant eux, pareille à un pic abrupt. À cette vue, ils se détournèrent en baissant la tête, car elle semblait devoir écraser le navire et le couvrir tout entier ; mais Tiphys la devança en donnant du répit au vaisseau alourdi par le mouvement des rames et le gros de la lame roula sous la coque. Elle tira néanmoins le navire par la poupe, le ramenant loin des roches, et longtemps il demeura porté sur la crête de la vague. Euphémos, allant d’un compagnon à l’autre, leur criait de tirer sur les rames de toutes leurs forces et ils frappaient l’eau à grands cris. Mais le flot rejeta le navire deux fois plus loin qu’il n’aurait dû avancer sous la poussée des hommes ; les rames pliaient comme des arcs recourbés, tant les héros y mettaient de vigueur. Puis soudain une vague venant en sens inverse s’élança ; le navire aussitôt, comme un rondin, se mettait à courir de l’avant, dans un élan impétueux, porté par la puissante vague qui creusait la mer. Mais, au milieu des Plégades, les tourbillons du courant l’arrêtaient : tandis que, des deux côtés, les roches s’ébranlaient en mugissant, les bois de la nef restaient prisonniers. Alors Athéna s’arc-bouta de la main gauche contre un solide rocher et, de la main droite, poussa le navire pour lui faire franchir complètement le passage. Celui-ci, pareil à une flèche ailée, s’élança dans les airs; cependant les ornements de l’extrémité de son aplustre furent fauchés par les roches, au moment où elles s’entrechoquaient avec force. Athéna s’élança vers l’Olympe quand ils furent hors de danger et indemnes, cependant que les roches, réunies l’une à l’autre au même endroit, s’enracinèrent fortement ; car tel était le destin voulu par les dieux, une fois qu’un mortel, après les avoir vues, les aurait traversées sur un navire.

Apollonios de Rhodes, Les Argonautiques, II, 573-606
texte établi par Francis Vian et traduit par Émile Delage,
« C.U.F. – série grecque », Les Belles Lettres, 1974 (2009)