Décembre sous le signe des mots grecs et latins !
Cette année, du 1ᵉʳ au 24 décembre, La Vie des Classiques vous propose un voyage quotidien au cœur des langues anciennes. Chaque jour, un mot grec ou latin – choisi pour sa beauté, son étrangeté, sa force évocatrice ou son actualité – sera présenté par l’un·e de nos auteur·trice·s. Étymologie, usages, petites histoires, dérivés modernes, sens perdus ou retrouvés… Ces mots ouvrent une fenêtre sur la manière dont les Anciens pensaient le monde, et sur la façon dont leurs mots continuent d’habiter le nôtre.
λεπαδοτεμαχοσελαχο-
γαλεοκρανιολειψανο-
δριμυποτριμματοσιλφιοτυρο-
μελιτοκατακεχυμενοκιχλεπι-
κοσσυφοφαττοπεριστεραλεκτρυον-
οπτoκεφαλιοκιγκλοπελειο-
λαγῳοσιραιοϐαφητραγαλο-
πτερυγών
« des patelles aux tranches de poisson salé à la raie à la mustèle à la sauce aigre de restes de cervelle broyés au silphium au fromage aux grives arrosées de miel au merle à la tourterelle à la colombe au coq aux têtes de merle d’eau frites au pigeon aux bouchées de poumons de lièvre macérés dans du vin cuit »
Aristophane, L’Assemblée des femmes, v. 1169-1175,
éd. Victor Coulon, trad. pers.,
CUF, Les Belles Lettres, 1972.
Ce mot de 168 lettres est certainement le plus long de la langue grecque. Il ne figure néanmoins pas dans le Bailly parce qu’il s’agit d’une invention d’Aristophane dans sa pièce L’Assemblée des femmes. Au terme de l’intrigue, l’ensemble de la cité se réunit autour d’un banquet lors duquel est servi ce fameux plat. Tous les mets associés, de manière invraisemblable, collés les uns aux autres dans ce long mot, ont pour vocation de provoquer le rire au sujet d’un plat fourre-tout. C’est peut-être aussi un moyen de refléter l’union de tous les membres de la cité, sur le mode du melting pot. Viandes et poissons somptueux composent ce plat qui ne dit rien de la vie de tous les jours d’un athénien mais révèle, en revanche, les aliments qui pouvaient paraître les plus luxueux, parmi lesquels divers oiseaux, des poissons ou encore des coquillages. Le caractère fastueux de ce plat apparaît dans les ingrédients et dans les techniques de préparation qui sont énoncées, comme la macération ou encore l’arrosage. Ce plat est un monocondyle, terme qui signifie « d’un seul trait ». C’est certainement ainsi qu’il devait être prononcé sur la scène et l’acteur qui l’énonçait accomplissait sans aucun doute une prouesse technique. Pour en apprendre plus sur cette pièce d’Aristophane, nous vous renvoyons aux chroniques Les Lauréats et En route pour les Lauriers. Espérons que le repas de fête que vous vous apprêtez à déguster se situe quelque part entre le faste de ce long mot et la nature morte de Jan Davidsz de Heem, tout aussi fastueuse dans son genre.
Jan Davids de Heem, Fruits et riche vaisselle sur une table, 1640,
Musée du Louvre, Paris, France.
Source : Wikimedia
Adrien Bresson