Décembre sous le signe des mots grecs et latins !
Cette année, du 1ᵉʳ au 24 décembre, La Vie des Classiques vous propose un voyage quotidien au cœur des langues anciennes. Chaque jour, un mot grec ou latin – choisi pour sa beauté, son étrangeté, sa force évocatrice ou son actualité – sera présenté par l’un·e de nos auteur·trice·s. Étymologie, usages, petites histoires, dérivés modernes, sens perdus ou retrouvés… Ces mots ouvrent une fenêtre sur la manière dont les Anciens pensaient le monde, et sur la façon dont leurs mots continuent d’habiter le nôtre.
cachinni
De même que le verbe cachinnare correspond au grec καγχάζω, le nom cachinnus correspond au grec καγχασμός. Le verbe veut dire « rire aux éclats », le nom, qui s’emploie plutôt au pluriel, signifie le rire en question.
Un passage familier contenant ce mot m’est revenu en tête récemment : il est dans Lucrèce, à propos de ces hommes d’autrefois qui passaient du bon temps dans des lieux très amènes. Ils formaient l’incarnation de la Muse agreste, chantant et dansant à leur manière, mais aussi plaisantant et riant plus ou moins fort : « Les plaisanteries, les mots, les doux éclats de rire étaient pour eux / une habitude » (De rerum natura V, v. 1397-8 ; cachinni réapparaît au v. 1401, toujours qualifié par dulces).
Mais il y a un autre passage que j’ai redécouvert en parcourant les occurrences : c’est aux v. 269 sqq. du carmen 64 de Catulle (v. 273), alors que la description du voile nuptial a pris fin et qu’aux noces de Thétis et Pélée, les hôtes humains cèdent la place aux divins. Le bruit produit alors, croissant puis décroissant, est comparé au va-et-vient des ondes marines. Et d’abord :
quae tarde primum clementi flamine pulsae
procedunt leviterque sonant plangore cachinni
« ces ondes que pousse lentement, d’abord, un souffle clément,
avancent, puis se brisent légèrement en un éclat de rire »
Sans doute des rires plus bruyants résonneront-ils en cette période festive. Dans d’autres passages que ceux que j’ai cités, cachinni et cachinnare traduisent, de fait, un bruit beaucoup plus grand. Mais l’image sonore des vagues au rire léger de Catulle est juste ce que je cherchais pour me – et peut-être pour nous – égayer quand les temps se font obscurs.
Whitney Houston, dont l’éclat de rire à la fin de « I wanna dance with somebody » me semble être un bon exemple de léger – et même grâcieux – cachinnus.
Séverine Clément-Tarantino