Anthologie – Victime de son image (Procope de Gaza)

20 septembre 2022
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Image : Couverture de Procope de Gaza, Discours et Fragments
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Dans son dernier Grand Écart, Jean-Paul Plantive est revenu sur ce touriste tombé dans le Vésuve en voulant faire un selfie, ce qui n’est pas sans rappeler un certain Narcisse... Si ce mythe nous est notamment connu par le récit qu’en fait Ovide au livre III de ses Métamorphoses, d’autres auteurs ont également fait œuvre de mythographe : c’est le cas de Procope de Gaza, rhéteur chrétien du VIe siècle, qui propose une version condensée et pleine de vigueur de la transformation du jeune homme en fleur. La visite d’un jardin planté de narcisses devient prétexte à l’évocation du mythe…

Ταῦτα ἰδὼν τὴν κεφαλὴν ὑπέκλινα τῇ  χειρὶ καὶ προσέστην καὶ ἐκεχήνειν τοῖς ἄνθεσιν. ἠπόρουν δὲ ὅτῳ τοὺς ὀφθαλμοὺς ἐπερείσαιμι. ἐνταῦθα καὶ <ναρκίσσου> κῆπον εἶδον καὶ τὸ τούτου πάθος μικροῦ καὶ ἐθρήνησα. ἦν γὰρ μειράκιον εὐπρεπές, καὶ θήρας ἔμελεν αὐτῷ καὶ ἐθήρα. καὶ δή ποτε τοῦ ἡλίου θερμότερον προσβαλόντος (ἦν γὰρ ὥρα θέρους) ἐδίψησε. καὶ περὶ πηγήν τινα ἣ πλησίον ἦν ἀφικνεῖται. ἅμα δὲ πίνων,  οἷα δὴ φιλεῖ,  τοῦ ὕδατος τὰς τῶν ἐφεστηκότων εἰκόνας δεικνύοντος, ἐπ’  αὐτὸν ἰδὼ ν ἐν τοῖς ὕδασιν,  ᾤετο μειράκιόν τι καλὸν ὑπὸ τὸ ὕδωρ λανθάνειν,  καὶ διὰ τῆς εἰκόνος ἑαυτοῦ γέγονεν ἐραστής. ἐντεῦθεν χαίρειν ἔφη τῇ  τέχνῃ,  καὶ οὐκ ᾔδει λοιπὸν οὐκ ἐλάφους οὐ κύνας οὔτε θηρία,  ἀλλ’ ἑαυτὸν ὁρῶν προσεκαρτέρει,  καὶ τὸν πόθον αὔξων ἀεὶ διαφθείρεται οὐκοῦν ἐλεεῖ τὸ πάθος ἡ Γῆ καὶ φυλάττει τῇ  μνήμῃ καὶ εἰς ἄνθος αὐτὸν μεταβαλοῦσα τοῦ κάλλους οὐκ ἐπελάθετο.

À cette vision, j’inclinai la tête vers ma main, je ne bougeai pas d’un pas et je demeurai bouche bée devant les fleurs. J’étais dans l’impossibilité de choisir sur laquelle concentrer mon regard. Alors je vis encore un jardin consacré au narcisse et je déplorai presque sa souffrance. C’était en effet un jeune garçon bien bâti qui avait du goût pour le gibier et qui chassait. Voilà qu’un jour, tandis que le soleil dardait ses rayons trop chauds (car c’était l’été), il eut soif. Il gagne alors les parages d’une fontaine qui était toute proche. Or pendant qu’il boit, comme il aime à le faire, l’eau lui renvoie les images qui en couvrent la surface et, regardant devant lui dans l’onde, il croit qu’un beau jeune homme était caché sous l’eau, et victime de son image, il tombe amoureux de lui-même. Depuis lors, il dit adieu à son art jusqu’à ne plus distinguer par la suite ni cerfs, ni chiens, ni bêtes sauvages ; au contraire il s’opiniâtrait dans sa propre contemplation et, en augmentant son désir, il se perd chaque fois davantage. Pour cette raison, la Terre prend pitié de sa souffrance, elle en préserve la mémoire et, le transformant en fleur, elle n’a pas oublié sa beauté.

Procope de Gaza, Dialexis sur le printemps (2), 4
in Discours et fragments, C.U.F., Les Belles Lettres
ed. et trad. Eugenio Amato