
29 mai 363. L’empereur Julien ne fut pas uniquement celui qui rétablit les dieux du polythéisme déclinant, il fut également un conquérant, comme le rapporte l’historien romain Ammien Marcellin qui fut son contemporain. Le voici face à un Rubicon autrement plus grand que celui franchi jadis par César, le Tigre, face à un empire colossal, l’empire Perse.
9. Hinc imperator cateruis peditum infirmis medium inter acies spatium secundum Homericam dispositionem praestituit, ne locati priores, cedentesque deformiter, cunctos auerterent secum, aut postsignani, pone omnes reiecti centurias, nullo retinente licentius uerterent terga, ipse cum leuis armaturae auxiliis per prima postremaque discurrens.
10. Ergo ubi uicissim contiguae se cernerent partes, cristatis galeis corusci Romani, uibrantesque clipeos, uelut pedis anapaesti praecinentibus modulis lenius procedebant, et propilatis missilibus per procursatores principiis pugnae temptatis, excita undique <humus rapido turbine portabatur. 11. Et cum undique > solito more conclamaretur uirorumque alacritatem sonans classicum iam iuuaret, hastis et mucronibus strictis, hinc inde comminus pugnabatur : sagittarum periculo miles erat inmunis, quantum interiora festinatius occupabat. Inter quae Iulianus pulsos fulcire subsidiis, incitareque tardantes, quasi conturmalis strenuus properabat et rector. 12. Laxata itaque acies prima Persarum, leni ante dein concito gradu, calefactis armis retrorsus gradiens propinquam urbem petebat; quam sequebatur miles itidem fessus, in campis torridis ad usque diei finem a lucis ortu decernens; eiusque occipitiis pertinacius haerens, omnem cum Pigrane et Surena et Narseo, potissimis ducibus, ad usque Ctesiphontis muros egit praecipitem, auersorum feriens suras et terga. 13. Perrupissetque ciuitatis aditus lapsorum agminibus mixtus, ni dux Victor nomine manibus erectis prohibuisset et uocibus, et ipse umerum sagitta praestrictus, et timens ne intra moenium ambitus rapidus miles inconsulte repertus, nullosque inueniens exitus, multitudinis pondere circumueniretur.
14. Sonent Hectoreas poetae ueteres pugnas, fortitudinem Thessali ducis extollant, longae loquantur aetates, Sophanem et Aminiam et Calimachum et Cynegirum, Medicorum in Graecia fulmina illa bellorum : non minus illo die quorundam ex nostris inclaruisse uirtutem, omnium confessione monstratur.
15. Post timorem depositum, calcatasque ruinas hostilium corporum, iusto sanguine miles etiam tum cruentus, ad imperatoris tentoria congregatus, laudes ei perhibebat et gratias, quod ignoratus ubique dux esset an miles magis, tum ita rem prospere gesserat, ut caesis Persarum plus minusue duobus milibus et quingentis, septuaginta caderent soli nostrorum.
9. Alors, l’empereur plaça préalablement ses troupes d'infanterie les plus faibles dans l’espace intermédiaire entre ses <autres> lignes de bataille, selon le dispositif homérique, pour éviter que, s’ils étaient mis en première ligne et lâchaient pied vilainement, ils n’entraînassent toute l’armée dans leur déroute, ou que, s’ils étaient rejetés à l’arrière-garde derrière toutes les centuries, ils ne fissent demi-tour en débandade complète, sans personne pour les retenir ; quant à lui, il prit position avec les troupes légères d’auxiliaires, courant partout de la première à la dernière ligne.
10. Or donc, au moment où les deux partis tout proches se dévisageaient mutuellement, les Romains, tout brillants de leurs casques à aigrette et brandissant leurs boucliers, s’avançaient très calmement, comme si le rythme anapestique scandait la mesure de leur marche, et au moment où les tirailleurs venaient de tenter d’engager le combat en lançant leurs projectiles en avant des troupes, <un tourbillon violent emporta brusquement dans les airs la poussière> soulevée de toutes parts. 11. <Et au moment où de toutes parts> éclatait le cri de guerre coutumier, où déjà la sonnerie des trompettes appuyait le mordant des guerriers, on brandit lances et épées, et le combat s’engagea de part et d’autre au corps à corps. Plus nos soldats s’empressaient de pénétrer au cœur des rangs ennemis, plus ils étaient à l'abri du danger des flèches. Cependant, Julien appuyait par des renforts ceux qui fléchissaient, il aiguillonnait les traînards, et se multipliait en frère d'armes et en chef valeureux. 12. Aussi, la première ligne perse, une fois rompue, d’un pas d’abord lent puis accéléré se mit à reculer pour rejoindre la ville proche, après s’être chaudement battue ; nos soldats la serraient de près, tout aussi las de combattre en ces plaines torrides depuis le point du jour jusqu’à la fin de la journée ; talonnant leur retraite sans lâcher prise, les nôtres les bousculèrent tous, avec leurs brillants chefs Pigrane, Suréna et Narsès, jusque sous les murs de Ctésiphon, en frappant les fuyards au dos et aux mollets. 13. Et ils auraient forcé les accès de la cité, mêlés aux colonnes en déroute, si le duc Victor ne les en avait empêchés de ses bras levés et de ses cris, étant lui-même égratigné d’une flèche à l’épaule et craignant que, dans un emportement inconsidéré, le légionnaire, retrouvé par l’ennemi à l’intérieur de l’enceinte des murs, ne fût cerné et écrasé sous le nombre sans découvrir aucune issue.
14. Que les poètes d'autrefois fassent retentir les combats d’Hector, qu’ils exaltent la vaillance du chef thessalien, que de longues générations disent Sophanès et Aminias, et Callimaque et Cynégire, ces héros qui furent en Grèce les foudres des guerres médiques : mais que la valeur de certains des nôtres ne se soit pas moins illustrée en ce grand jour, cela ressort de l’aveu de tous.
15. Ayant abandonné toute crainte, et foulé aux pieds les amas de cadavres ennemis, le légionnaire encore couvert d’un sang justement versé se rassembla près des tentes de l’empereur ; il lui exprimait louanges et grâces d’avoir en cette rencontre, sans qu’on sût nulle part s’il était le chef ou bien plutôt un simple soldat, mené l'affaire avec tant de bonheur que les Perses avaient eu environ deux mille cinq cents tués, tandis que tombaient seulement soixante-dix des nôtres.
Ammien Marcellin, Histoires, XXIV, 6, 9-15
C.U.F., Les Belles Lettres
ed. et trad. Jacques Fontaine