Anthologie – Trop fort, l'animal ! (Plutarque)

9 juin 2022
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Image : Couverture de Plutarque, Œuvres morales, Traité 63
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Si la cause animale est un sujet tout à fait d'actualité, c'est une question qui préoccupait déjà les Anciens : Pythagore, Théophraste, Plutarque sont autant de philosophes et naturalistes qui défendaient, dans leurs œuvres, l'idée d'une rationalité et d'une intelligence animale, ce qui ne les éloignait pas tant des hommes... Et en ce mois où nous laissons les animaux courir, La Vie des Classiques vous propose aujourd'hui de lire un passage du traité L'intelligence des animaux de Plutarque, dans lequel il montre toute l'étendue de la ruse animale.

Πανουργίας δὲ πολλῶν παραδειγμάτων ὄντων, ἀφεὶς ἀλώπεκας καὶ λύκους καὶ τὰ γεράνων σοφίσματα καὶ κολοιῶν, ἔστι γὰρ δῆλα, μάρτυρι χρήσομαι Θαλῇ τῷ παλαιοτάτῳ τῶν σοφῶν, ὃν οὐχ ἥκιστα θαυμασθῆναι λέγουσιν ὀρέως τέχνῃ περιγενόμενον. Τῶν γὰρ ἁληγῶν ἡμιόνων εἷς ἐμβαλὼν εἰς ποταμὸν ὤλισθεν αὐτομάτως καὶ τῶν ἁλῶν διατακέντων ἀναστὰς ἐλαφρὸς ᾔσθετο τὴν αἰτίαν καὶ κατεμνημόνευσεν· ὥστε διαβαίνων ἀεὶ τὸν ποταμόν, ἐπίτηδες ὑφιέναι καὶ βαπτίζειν τὰ ἀγγεῖα, συγκαθίζων καὶ ἀπονεύων εἰς ἑκάτερον μέρος. Ἀκούσας οὖν ὁ Θαλῆς ἐκέλευσεν ἀντὶ τῶν ἁλῶν ἐρίων τὰ ἀγγεῖα καὶ σπόγγων ἐμπλήσαντας καὶ ἀναθέντας, ἐλαύνειν τὸν ἡμίονον. Ποιήσας οὖν τὸ εἰωθὸς καὶ ἀναπλήσας ὓδατος τὰ φορτία συνῆκεν ἀλυσιτελῆ σοφιζόμενος ἑαυτῷ, καὶ τὸ λοιπὸν οὕτω προσέχων καὶ φυλαττόμενος διέβαινε τὸν ποταμόν, ὥστε μηδ᾽ ἄκοντος αὐτοῦ τῶν φορτίων παραψαῦσαι τὸ ὑγρόν.

Ἄλλην δὲ πανουργίαν ὁμοῦ μετὰ τοῦ φιλοστόργου πέρδικες ἐπιδεικνύντες τοὺς μὲν νεοττοὺς ἐθίζουσι μηδέπω φεύγειν δυναμένους, ὅταν διώκωνται, καταβαλόντας ὑπτίους ἑαυτοὺς βῶλόν τινα ἢ συρφετὸν ἄνω προΐσχεσθαι τοῦ σώματος οἷον ἐπηλυγαζομένους· αὐταὶ δὲ τοὺς διώκοντας ὑπάγουσιν ἄλλῃ καὶ περισπῶσιν <εἰς> ἑαυτάς, ἐμποδὼν διαπετόμεναι καὶ κατὰ μικρὸν ἐξανιστάμεναι, μέχρις ἂν οὕτως ἁλισκομένων δόξαν ἐνδιδοῦσαι, μακρὰν ἀποσπάσωσι τῶν νεοττῶν. Οἱ δὲ δασύποδες πρὸς εὐνὴν ἐπανιόντες ἄλλον ἀλλαχῆ κομίζουσι τῶν λαγιδέων, καὶ πλέθρου διάστημα, πολλάκις ἀλλήλων ἀπέχοντας, ὅπως, ἂν ἄνθρωπος ἢ κύων ἐπίῃ, μὴ πάντες ἅμα συγκινδυνεύωσιν· αὐτοὶ δὲ πολλαχόθι ταῖς μεταδρομαῖς ἴχνη θέντες, τὸ δ᾽ ἔσχατον ἅλμα μέγα καὶ μακρὰν τῶν ἰχνῶν ἀποσπάσαντες οὕτω καθεύδουσιν. Ἡ δ᾽ ἄρκτος ὑπὸ τοῦ πάθους, ὃ καλοῦσι φωλείαν, καταλαμβανομένη, πρὶν ἢ παντάπασι ναρκῆσαι καὶ γενέσθαι βαρεῖα καὶ δυσκίνητος, τόν τε τόπον ἀνακαθαίρει καὶ μέλλουσα καταδύεσθαι τὴν μὲν ἄλλην πορείαν ὡς ἐνδέχεται μάλιστα ποιεῖται μετέωρον καὶ ἐλαφρὰν ἄκροις ἐπιθιγγάνουσα τοῖς ἴχνεσι, τῷ νώτῳ δὲ τὸ σῶμα προσάγει καὶ παρακομίζει πρὸς τὸν φωλεόν. Τῶν ἐλάφων δ᾽ αἱ θήλειαι μάλιστα τίκτουσι παρὰ τὴν ὁδόν, ὅπου τὰ σαρκοβόρα θηρία μὴ πρόσεισιν· οἳ τ᾽ ἄρρενες, ὅταν αἴσθωνται βαρεῖς ὑπὸ πιμελῆς καὶ πολυσαρκίας ὄντες, ἐκτοπίζουσι σῴζοντες αὑτοὺς τῷ λανθάνειν, ὅτε τῷ φεύγειν οὐ πεποίθασιν. Τῶν δὲ χερσαίων ἐχίνων ἡ μὲν ὑπὲρ αὑτῶν ἄμυνα καὶ φυλακὴ παροιμίαν πεποίηκε· πόλλ᾽ οἶδ᾽ ἀλώπηξ, ἀλλ᾽ ἐχῖνος ἓν μέγα·

Pour ce qui est de la malice des animaux, les exemples en sont nombreux, et je laisserai de côté le cas des renards et des loups, ainsi que les trouvailles des grues et des choucas, toutes choses bien connues, pour m’arrêter au témoignage de Thalès, le plus ancien des sages. Car à ce qu’on raconte, le moins admiré de ses exploits ne fut pas d’avoir surpassé une mule en ingéniosité. Un jour, en effet, dans un convoi transportant du sel, un mulet, emporté par son élan, glissa par accident dans une rivière. Le sel fondit et l’animal se releva tout léger : il en devina la raison et l’inscrivit dans sa mémoire. Dès lors, chaque fois qu’il traversait la rivière, il faisait exprès de plonger ses sacs dans l’eau et de les détremper en s’accroupissant puis en se penchant successivement de côté et d’autre. Lorsque Thalès apprit le manège, il demanda qu’à la place du sel on mît dans les sacs de la laine et des éponges et qu’on menât le mulet ainsi chargé. L’animal fit comme à l’accoutumée, ce qui eut pour effet de gorger d’eau son chargement ; il comprit alors que l’astuce tournait à son désavantage, et désormais il sut traverser la rivière avec assez d’attention et de précaution pour ne jamais laisser, même par inadvertance, l’eau effleurer son chargement.

Les perdrix, elles aussi, font preuve de malice, mais accompagnée d’amour maternel, quand elles habituent leurs petits, encore incapables de fuir, à se protéger en cas de poursuite en s’allongeant dos au sol et en ramenant guise d’abri. Pendant ce temps, elles-mêmes entraînent les poursuivants dans une autre direction, les détournent en les attirant à elles, viennent se poser juste devant eux puis s’élancent vivement dans l’air, et finissent ainsi, en leur faisant croire qu’ils les tiennent, par les attirer loin de leurs petits. Les lièvres, quand ils retournent au gîte, transportent leurs levrauts chacun dans un endroit différent, laissant souvent entre eux une distance d’un plèthre, afin que, si un homme ou un chien surviennent, ils ne soient pas menacés tous ensemble. Eux-mêmes, après avoir multiplié leurs traces en courant de côté et d’autre, finissent par un bond puissant qui les projette loin de leurs traces, après quoi ils s’installent pour dormir. L’ours, quand il est pris par cet état qu’on appelle l’hibernation, et avant d’être complètement engourdi et de devenir lourd et impotent, efface toute trace alentour puis, au moment de s’enfoncer sous terre, il use d’abord d’une démarche aussi aérienne et légère que possible, effleurant le sol de la pointe des pieds ; il se couche ensuite sur le dos et pousse la masse de son corps qu’il fait ainsi progresser en direction de sa caverne. Les biches mettent bas de préférence au bord des routes, dont les animaux carnivores ne s’approchent pas. Quant aux cerfs, lorsqu’ils se sentent alourdis par la graisse et l’embonpoint, ils se retirent à l’écart, cherchant le salut dans la disparition dès lors qu’ils ne peuvent plus se fier à la fuite. La manière dont les hérissons se défendent et se mettent en garde est passée en proverbe : « Le renard connaît mille tours ; le hérisson un seul, mais bon. »

Plutarque, Œuvres morales, Traité 63 - "L'intelligence des animaux", 971a-f
C.U.F., Les Belles Lettres
ed. et trad. Jean Bouffartigue