Anthologie – Des femmes qui parlent d'elles à Pompéi

27 juin 2023
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Image : Couverture de Pompéi de Pascal Charvet, Annie Collognat et Stéphane Gompertz
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Dans la continuité de l'entretien qu'ils nous ont accordé, Pascal Charvet, Annie Collognat et Stéphane Gompertz vous proposent de découvrir quelques belles pages de leur ouvrage magistral paru aux éditions Bouquins : Pompéi.

À côté de femmes qui disent, avec les mots de tous les jours, le bonheur de vivre avec leur mari, des femmes à Pompéi n’hésitent pas à exprimer leur choix amoureux en empruntant parfois leurs formules aux poètes qu’elles ont lus ou qui ont façonné leur éducation, comme Ovide, Properce ou Tibulle ; ainsi cette femme amoureuse d’une autre femme écrite en termes tendres à celle qu’elle appelle sa pupula, « sa petite poupée », tout en critiquant la légèreté des hommes et en insistant sur la souffrance que créent les séparations :

O utinam liceat collo complexa tenere
braciola et teneris oscula ferre labellis
i nunc, ventis tua gaudia, pupula, crede
crede mihi levis est natura virorum
saepe ego cum media vigilarem perdita nocte
haec mecum meditans : multos Fortuna quos supstulit alte,
hos modo proiectos subito praecipitesque premit.
Sic Venus ut subito coiunxit corpora amantum
dividit lux et se/
paries quid ama…

Ô comme j’aimerais te tenir, mes bras serrés autour de ton cou, et baiser tes lèvres tendres ! Va maintenant, ma petite poupée et confie ton bonheur au vent ! Crois-moi, la nature des hommes est légère ! Souvent je restais éveillée, perdue au milieu de la nuit, et me disais en moi-même : la Fortune rejette et écrase soudain ceux qu’elle a élevés. Et aussi vite que Vénus unit les corps des amants, la lumière les sépare…

CIL IV, 5296
trad. Pascal Charvet

Une passante ou un passant écrivit sous ce poème quelques mots d’un vers d’Ovide tiré des Métamorphoses (IV, 73) provenant de l’épisode tragique des deux amants babyloniens Pyrame et Thisbé, qui se parlaient à travers les fissures d’un mur : « Mur jaloux– disaient-ils – pourquoi fais-tu obstacle à ceux qui s’aiment ? »

Complicité littéraire ou accord plus profond ? Que cet amour ait été fantasmé, ou non, sa présence sur les murs de Pompéi et le dialogue mystérieux qu’il a déclenché conduisent à la reconnaissance, même inconsciente, d’une mélodie qui résonne depuis huit siècles au moins, dès Sappho, et livre ici publiquement ses variations secrètes. (…)

 

Pascal Charvet, Annie Collognat et Stéphane Gompertz, Pompéi, "Amours féminines et masculines", p. 597
Ed. Bouquins, 2023