Anthologie - Chiron, Phénix, Mentor

4 mai 2020
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A tous ceux qui pratiquent "l'école à domicile" et voient avec bonheur l'heure du goûter approcher, La Vie des Classiques offre aujourd'hui quelques pages du Signet A l'école des Anciens

Les dieux et les héros n’ont pas la science infuse. Ils ont besoin d’être nourris, élevés, guidés; puis, à leur tour, ils deviennent des maîtres pour les hommes, auxquels ils insufflent des révélations soudaines ou distillent une éducation progressive. Ces dons à l’humanité sont l’effet de leur bienfaisance et la marque de leur supériorité. Les mythes et les traditions légendaires reflètent ainsi, à leur manière, le rôle crucial de la notion d’apprentissage dans la pensée antique. Des traces en subsistent en français, avec l’utilisation comme noms communs des mots « mentor » et « égérie ».

Pindare

Chiron est un centaure, une de ces créatures hybrides qui, selon la mythologie, avaient le visage et le buste d’un homme et le bas du corps d’un cheval. Savant et bienfaisant, il a instruit de nombreux héros, leur enseignant la chasse et la guerre, et aussi la musique ou la médecine. C’est lui qui a formé Asclépios
(Esculape chez les Romains), le dieu guérisseur.

CHIRON, ÉDUCATEUR DES HÉROS

Cependant, le blond Achille, tandis qu’il habitait la demeure de Philyre, enfant encore, avait pour jeux de grands exploits; sans cesse, faisant voler comme le vent le javelot armé d’un fer court, il combattait les lions farouches, leur donnait la mort et abattait les sangliers. Puis il rapportait au centaure, fils de Cronos, leurs cadavres encore haletants, dès l’âge de six ans, et tout le temps qui suivit. Artémis l’admirait, ainsi que l’audacieuse Athéna, tandis qu’il tuait
les daims, sans l’aide de chiens ni de filets trompeurs; car il les dépassait à la course. Et je sais encore ceci, que la tradition nous raconte: en sa sagesse profonde, Chiron avait nourri, dans son antre rocheux, Jason, et après lui Asclépios, auquel il enseigna l’emploi des remèdes appliqués d’une main légère. En un autre temps, il maria la fille de Nérée, Thétis aux bras splendides, et il élevait son fils Achille, cet enfant sublime, en développant, par les exercices appropriés, tous les instincts de son grand cœur, afin que, conduit sous les murs de Troie, où résonne le fracas des lances, par le souffle des brises marines, il affrontât le cri de guerre des Lyciens, des Phrygiens et des Dardaniens, et qu’engageant la bataille avec les Éthiopiens porteurs de javelots, il s’obstinât à vouloir que ne revînt plus en son pays leur chef, l’impétueux cousin d’Hélénos, Memnon.

Néméennes, III, 43-63

Homère

L’éducation d’Achille fut pour les Anciens un sujet inépuisable, car elle illustrait le fait que tous, sans exception, ont besoin d’apprendre: ce prince a été enfant, ce héros bouillant s’est plié aux leçons, ce guerrier a cultivé non seulement son corps, mais aussi son esprit. Ici, Homère donne la parole à l’un des maîtres d’Achille, Phénix, que Pélée (le père d’Achille) avait chargé d’instruire son fils. Cherchant à apaiser la colère d’Achille, le vieux précepteur rappelle avec tendresse et réalisme les soins dont il a entouré autrefois son élève.

PHÉNIX, PRÉCEPTEUR D’ACHILLE

Si vraiment tu te mets en tête de repartir, illustre Achille, si à tout prix tu te refuses à défendre nos fines nefs contre le feu destructeur, tant la colère a envahi ton âme, comment pourrais-je, moi, rester seul ici, sans toi, mon enfant? C’est pour toi que m’a fait partir Pélée, le vieux meneur de chars, au moment où, toi-même, il te faisait partir de Phthie, pour rejoindre Agamemnon. Tu n’étais qu’un enfant, et tu ne savais rien encore ni du combat qui n’épargne personne ni des conseils où se font remarquer les hommes. Et c’est pour tout cela qu’il m’avait dépêché: je devais t’apprendre à être en même temps un bon diseur d’avis, un bon faiseur d’exploits. […] Et c’est moi qui ainsi t’ai fait ce que tu es, Achille pareil aux dieux, en t’aimant de tout mon cœur. Aussi bien tu ne voulais pas toi-même de la compagnie d’un autre, qu’il s’agît ou de se rendre à un festin ou de manger à la maison: il fallait alors que je te prisse sur mes genoux, pour te couper ta viande, t’en gaver, t’approcher le vin des lèvres. Et que de fois tu as trempé le devant de ma tunique, en le recrachant, ce vin! Les enfants donnent bien du mal. Ah! que, pour toi, j’ai souffert et pâti, songeant toujours que les dieux ne voulaient pas laisser venir au monde un enfant né de moi! Et c’est toi alors, Achille pareil aux dieux, c’est toi dont je voulais faire le fils qui, un jour, écarterait de moi le malheur outrageux. Allons! Achille, dompte ton cœur superbe.

Iliade, IX, 434-443, 485-496
 

Dans l’épopée, les dieux prennent volontiers l’apparence d’un mortel pour entrer en contact avec les hommes. C’est ainsi que la déesse Athéna emprunte les traits de Mentor, vieil ami d’Ulysse, pour accompagner Télémaque (le fils d’Ulysse) dans ses voyages en quête de renseignements sur son père disparu. Elle guide le jeune homme et l’encourage adroitement. Fénelon, dans son Télémaque (1699), a donné un grand développement au personnage de Mentor, dont il a fait un modèle de gouverneur du prince et de pédagogue mystique.

MENTOR, UN GUIDE DIVIN

ATHÉNA. – Télémaque, à présent, tu ne dois plus avoir la moindre fausse honte. Il s’agit de ton père. Tu n’as franchi la mer qu’afin de t’enquérir du sort qu’il a subi, du pays qui le cache. Donc, va droit à Nestor, le dresseur de chevaux, et sachons la pensée qu’il enferme en son cœur! il faut lui demander de te parler sans feinte; ne crains pas de mensonge; il est toute sagesse.

Posément, Télémaque la regarda et dit:

TÉLÉMAQUE. – Mentor, tu veux que j’aille et que, moi, je l’aborde? L’habileté des mots, tu sais, n’est pas mon fait! et c’est le rouge au front qu’un homme de mon âge interroge un ancien.

Athéna, la déesse aux yeux pers, répliqua:

ATHÉNA. – Mais des mots, Télémaque, il t’en viendra du cœur, et quelque bon génie te soufflera le reste; car les dieux, que je sache, ne t’ont pas empêché de naître et de grandir.

Odyssée, III, 14-28