Entretien césarien avec Guillaume Flamerie de Lachapelle

22 août 2022
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Image : Entretien césarien avec Guillaume Flamerie de Lachapelle
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À l’occasion de la publication de Ave, Caesar !, dernier volume bilingue latin-français de la collection Les Petits Latins, Guillaume Flamerie de Lachapelle nous fait l’honneur d’un entretien exclusif pour nous présenter l’un des Romains les plus célèbres : César.

 

La Vie des Classiques : Comment vous présenter ?
Guillaume Flamerie de Lachapelle : Je suis maintenant au milieu de la quarantaine, j’enseigne le latin à l’Université Bordeaux Montaigne depuis une vingtaine d’années ; j’ai aussi été professeur de collège dans les Landes.

 

L.V.D.C. : Quelles ont été les rencontres déterminantes, de chair ou de papier, dans votre parcours ?
G.F.D.L. : Il y en a tellement ! Tous mes professeurs de latin au collège et au lycée ont été importants d’une façon ou d’une autre. Plus tôt je me rappelle deux ouvrages chez mes grands-parents suisses que je lisais et relisais chaque été : l’Iliade et de l’Odyssée dans une version illustrée pour enfants, ainsi qu’un recueil intitulé Douze légendes de la mythologie. Puis en troisième j’ai dû préparer un exposé sur les Vies des douze Césars de Suétone qui m’a amené à en savoir un peu plus sur César ; beaucoup plus tard j’ai lu L’Art de la déformation historique dans les commentaires de César, de Michel Rambaud, qui m’a appris à me méfier un peu des propos du personnage ! Entre-temps la lecture d’Œdipe-roi de Sophocle en terminale a été fascinante et sans doute déterminante ; elle m’a en tout cas donné envie d’apprendre le grec.

 

L.V.D.C. : Quelle a été votre formation intellectuelle ?
G.F.D.L. : Après une première et une terminale L au lycée Camille-Jullian de Bordeaux, j’ai été élève des classes préparatoires de ce même établissement, puis j’ai été élève à l’École normale supérieure de Fontenay/Saint-Cloud (aujourd’hui installée à Lyon) avant de préparer une thèse sur la notion de clementia sous la direction de Sylvie Franchet d’Espèret. Voilà pour la formation « académique » ; pour la formation « intellectuelle » au sens large, il y aurait beaucoup trop à dire, comme pour chacun d’entre nous.

 

L.V.D.C. : Quel a été le premier texte latin et grec que vous avez traduit/lu ? Quel souvenir en gardez-vous ?
G.F.D.L. : En 4e et en 3e je travaillais à partir des manuels Invitation au latin, qui ne proposaient pas des textes « authentiques » mais des versions plus adaptées à notre niveau : je me rappelle en particulier de textes sur les guerres puniques et notamment sur la marine carthaginoise (pourquoi ? aucune idée…). Puis en seconde nous avons traduit l’apologue des membres et de l’estomac dans le discours que tient Ménénius Agrippa à la plèbe, chez Florus ; je me souviens surtout que j’ai eu du mal à le traduire, puis que l’idée de concorde était très importante chez les Romains, dont j’avais surtout perçu le côté guerrier et ambitieux jusqu’alors.

 

L.V.D.C. : Avez-vous pratiqué, et/ou pratiquez-vous encore, l’exercice formateur du « petit latin » ? Quels auteurs vous ont accompagné ?
G.F.D.L. : J’essaie surtout de faire du « petit grec » pour ne pas trop perdre mon niveau dans cette langue que je pratique moins. En latin je fréquentais essentiellement César et Cicéron jusqu’à l’agrégation, année où je me suis frotté à des auteurs plus variés en vue de l’épreuve de hors-programme. Cela dit il m’arrive aujourd’hui encore d’ouvrir au hasard un Budé latin pour voir si je n’ai pas de difficulté à tout comprendre, ce qui me permet régulièrement de découvrir une page que je n’ai jamais lue ou bien oubliée… En outre c’est une sorte d’examen de contrôle qui me permet de m’assurer que je ne suis pas encore bon pour la retraite ! (Quoique beaucoup de retraités conservent un excellent niveau de latin, et que certains s’y [re]mettent même avec beaucoup de succès : j’en compte plusieurs parmi mes étudiants).

 

L.V.D.C. : Écrire un ouvrage dont une partie non négligeable est en latin, était-ce un défi pour vous ? Est-ce un exercice similaire à celui du thème latin, qui doit vous être familier ?
G.F.D.L. : Oui bien sûr, c’est un défi car personne n’est à l’abri d’une étourderie et j’en profite d’ailleurs pour remercier une nouvelle fois mes relecteurs, Mme Bernadette Brochet et M. François Zing. L’exercice était un peu différent de celui du thème latin dans la mesure où je ne voulais pas utiliser de tournures trop complexes puisque le volume est destiné aux élèves de niveau « débutant ». Ainsi le texte ne comporte pas de subjonctif, pas de proposition relative… dès lors la difficulté était de proposer un récit en latin simplifié sans trahir le génie de la langue.

 

L.V.D.C. : Quelles ont été les différentes étapes dans l’écriture du Ave, Caesar ? Avez-vous d’abord écrit la partie en français ? en latin ? ou bien les deux conjointement ?
G.F.D.L. : En règle générale, après avoir eu la trame en tête, j’ai rédigé directement en latin puis me suis ensuite occupé de la traduction française, même s’il est arrivé que j’aie du mal à exprimer directement en latin une ou deux idées compte tenu des restrictions grammaticales que je m’étais imposées.

 

L.V.D.C. : Ave, Caesar fait partie d’une trilogie retraçant l’histoire et la carrière d’un des Romains les plus célèbres, et dont les deux autres volets paraîtront dans les prochains mois. Pouvons-nous ainsi distinguer trois périodes dans la vie de César ?
G.F.D.L. : D’une manière générale je vois plutôt une existence humaine comme une continuité où nous nous modifions insensiblement à chaque seconde que comme un processus fractionnable (mais je ne voudrais pas nous entraîner trop loin !). Il en va différemment quand il s’agit d’étudier une carrière politique ou publique, où il est possible de distinguer plusieurs étapes, et c’est ce que je me suis proposé de faire en séparant l’ascension, puis la guerre des Gaules et enfin les dernières années. D’autres approches, comptant plus ou moins de parties, auraient sans doute été tout aussi pertinentes. Il faut surtout avoir conscience que nous sommes tributaires des sources qui nous sont restées : nous connaissons beaucoup mieux sa mort que son enfance, par exemple, et sommes donc tentés (voire obligés) de consacrer plus de place à cet événement qu’à ses premières années, alors que celles-ci ont été déterminantes.

 

L.V.D.C. : En lisant ce petit volume, le lecteur assiste à la fulgurante et fascinante ascension d’un homme qui semble tout avoir du héros romanesque. Avez-vous souhaité mettre en avant ce trait ? César est-il un super-héros ?
G.F.D.L. : En écrivant cet ouvrage j’ai essayé de me rappeler ce qui me fascinait le plus dans ces existences lorsque j’étais au collège, et il s’agissait effectivement d’épisodes assez romanesques. C’est en pensant à mes jeunes lecteurs que j’ai mis ces histoires en avant. Cela dit il ne faut pas être dupe et l’on perçoit aussi en lisant Ave Caesar !, je l’espère, la part de cynisme de César. En outre il n’a pas de « super-pouvoir » : il est même désespéré de n’avoir rien accompli à l’âge où Alexandre avait conquis le monde ! C’est plutôt un homme habile, un « grand homme » même, dirait Hegel, qui a su saisir au mieux l’esprit de son temps et profiter des occasions s’offrant à lui. Mais, comme tous les conquérants, César a fait couler beaucoup de sang pour assouvir son ambition et je ne le classerais pas vraiment parmi les super-héros, du moins d’après l’idée que je m’en fais.

 

L.V.D.C. : Et pourtant votre ouvrage est historiquement très exact : quelles ont été vos sources ?
G.F.D.L. : Plus précisément on peut dire que l’ouvrage est exact en ceci qu’il reprend des épisodes racontés en particulier par Plutarque et Suétone dans leurs biographies respectives, ainsi que par César dans ses propres Commentaires. Cela dit Suétone lui-même avait tendance à privilégier la version la plus romanesque des faits qu’il rapporte : or certaines aventures ont sans doute été « arrangées » par César lui-même ou par ses admirateurs. Ainsi concernant son attitude à l’égard des pirates, où il est très à son avantage, on n’a guère que sa version à lui des événements, les autres témoins ayant rapidement été éliminés…

 

L.V.D.C. : Votre ouvrage peut notamment être utilisé par les enseignants de latin du secondaire : avec quels niveaux Ave Caesar peut-il être utilisé, et dans quels objets d’étude s’insère-t-il ?
G.F.D.L. : Le volume est spécifiquement destiné à des élèves peu avancés, puisqu’il suffit de connaître en gros les trois premières déclinaisons, les adjectifs qualificatifs, les pronoms personnels ainsi que le présent et le parfait de l’indicatif à la voix active. Il peut sans doute aussi permettre des révisions ou montrer à des élèves plus avancés qu’ils sont capables de progresser dans un texte latin. Il conviendrait bien à mon sens au thème « De la République au Principat », en troisième.

 

L.V.D.C. : Pour finir sur une note de fantaisie : parmi toutes les réutilisations qui en ont été faites, quel est votre César préféré ?
G.F.D.L. : Celle d’Astérix m’est la plus familière et m’accompagne depuis longtemps. César y est à la fois altier, digne et souvent équitable : il y est bien mieux traité que la moyenne des Romains, dont la bêtise l’accable d’ailleurs fréquemment. Dans un tout autre registre j’aime écouter de la musique baroque et le personnage éponyme de Giulio Cesare de Haendel m’est donc assez familier, même si ce n’est pas nécessairement lui qui chante mes airs préférés.