Claude Calame - Religio et religion : entre dogme christianocentré et relativisme anthropologique

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Séminaire : Prendre les Anciens au mot : ce que l'antiquité fait à la modernité
8 février 2017

Dans un livre de vulgarisation intelligente intitulé "The God Delusion" (Londres 2006), le très médiatique éthologiste et épistémologue Richard Dawkins a donné de la religion une définition compréhensive. La religion correspondrait à un ensemble d’idées parmi lesquelles la survie après la mort physique, l’existence d’un paradis réservé aux méritant-es, la croyance en Dieu comme vertu suprême, etc. Dénommer cet ensemble "religion", c’est usurper le double sens latin de "religio", qu’on le fasse dériver de "relegere" (« relire attentivement », « revenir en pensée sur »), comme le propose Cicéron, ou de "religare" (« lier »), selon l’étymologie avancée par Servius : soit le soin scrupuleux du rite, soit la vénération pour une divinité. Mais ce n’est qu’avec Tertullien que la "falsa religio" (des païens) est opposée à la "vera religio" (des chrétiens). Prétexte à un retour anthropologique sur la modernité pour montrer comment nos concepts de « religion » et de « religieux » s’inscrivent dans une perspective universalisante, largement christiano- et européocentrée.

Discutant : Erwan DIANTEILL (Université Paris Descartes)


PRENDRE LES ANCIENS AU MOT : CE QUE L’ANTIQUITÉ FAIT À LA MODERNITÉ

« Antiquité, territoire des écarts »
Sandra BOEHRINGER, Romain BRETHES, Claude CALAME, Florence DUPONT, Tristan MAUFFREY
rer
EHESS (Centre AnHiMA et CRAL)

L’Antiquité gréco-romaine nous tend des pièges conceptuels et culturels : les termes grecs ou latins, comme "theatron", "muthos", "religio", "eros", "philosophia", "fabula", "res publica", "demokratia", n’avaient ni le sens ni les emplois que nous donnons aujourd’hui à théâtre, mythe, érotisme, philosophie, fable, république ou démocratie. L’identité formelle entre les termes anciens d’un côté, français de l’autre donne l’illusion que nous pouvons les utiliser sans précaution, sans traduction anthropologique. Ils ont fini par renvoyer à des concepts anhistoriques, souvent présentés comme des catégories universelles.
On s’intéressera donc aux pratiques discursives correspondant à l’usage de ces mots, puis aux réalités sociales auxquelles ces termes renvoient, grâce à une approche croisant les acquis de l’anthropologie, de la sociologie et de la linguistique pragmatique de l’énonciation, en rompant avec les habituelles analyses textuelles. On pourra ainsi revisiter les savoirs que ces pratiques antiques construisent dans leurs contextes historiques et culturels propres. Pratiquer l’écart ne vise pas seulement à mesurer la distance anthropologique qui sépare modernité et Antiquité, mais aussi, à partir de là, à jeter un regard critique sur la modernité.